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empereurs d’Allemagne, de Russie et d’Autriche n’a-t-elle point été déjà l’occasion ! On veut à tout prix pénétrer le terrible mystère, on en a même parlé dans la commission de permanence de l’assemblée, qui se réunit de temps à autre à Versailles, comme si M. le ministre des affaires étrangères pouvait rien dire et avait rien à dire. Que les journaux allemands donnent carrière à leur imagination, à leurs haines ou à leurs désirs, brodent toute sorte d’amplifications sur l’entrevue des empereurs, et que des journaux qui ne sont pas allemands se fassent l’écho de tout ce qui se dit ou de tout ce qui se murmure, les intérêts des peuples ne restent pas moins ce qu’ils sont, la force des choses ne domine pas moins toutes les résolutions. Les tout-puissans qui croient mener le monde ne font pas toujours eux-mêmes ce qu’ils veulent, et, qu’on se rassure, tous ces souverains, chanceliers et conseillers de tout ordre qui vont se trouver réunis seront peut-être plus occupés d’éviter certains sujets de conversation que de travailler à de vastes combinaisons. On se sera donné le luxe d’une représentation de gala, on aura assisté aux manœuvres d’automne, le vieux Guillaume de Prusse aura montré à ses bons frères l’empereur François-Joseph et l’empereur Alexandre les soldats qui ont battu les Autrichiens à Sadowa ou qui pourront avoir à se mesurer avec les Russes, puis en définitive il en sera de cette nouvelle sainte-alliance comme de toutes les bulles de savon diplomatiques qui depuis longtemps courent périodiquement les airs.

Ce serait à coup sûr une légèreté singulière de prétendre refuser toute importance à une entrevue comme celle-là. Des empereurs ne se réunissent pas pour rien, surtout quand ils se font suivre de leurs premiers ministres ; ils peuvent être conduits au rendez-vous par des mobiles différens, ils ont toujours une pensée. Les souverains de l’Allemagne, de la Russie et de l’Autriche ont certainement aujourd’hui la préoccupation du maintien de la paix, ils s’efforceront d’entourer cette paix de toutes les garanties générales de bonne amitié et de bonne intelligence qu’ils pourront trouver dans leur zèle de conciliation. Nier ce qu’il peut y avoir de sérieux dans ces tentatives de rapprochement serait de la plus vulgaire imprévoyance ; mais ce serait aussi dans un autre sens une méprise évidente d’aller chercher la signification et le secret de la réunion de Berlin dans toutes les histoires fabuleuses qu’on sème à plaisir, de se laisser prendre à tous ces bruits qui représentent l’entrevue des empereurs tantôt comme le préliminaire d’un congrès destiné à régler la situation de l’Europe, tantôt comme une sorte de sanhédrin de sainte-alliance où les trois souverains concerteraient une politique pour tenir la France en échec, et, qui sait ? peut-être pour lui imposer une limitation de forces militaires. Les expériences d’artillerie qui viennent de se faire à Trouville sont manifestement une raison d’inquiétude profonde pour l’Europe ! Il n’est que temps d’opposer un congrès au nouveau camp de Boulogne.