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leur érudition est impitoyable. Ils démontrent que ces deux nations doivent être détestées, que leur caractère n’a jamais été qu’ambition, légèreté, mauvaises mœurs, indiscipline, corruption, — qu’elles ont été de tout temps perfides, querelleuses, débauchées, — que leur existence est un danger pour le repos de l’Europe et surtout un danger pour la morale, — que l’une d’elles a mérité d’être supprimée, que l’autre mérite de l’être, toutes les deux au profit de la Prusse.

Ces qualités de l’érudition allemande n’ont pas été assez admirées chez nous. On n’a pas assez calculé combien elles ont été utiles et fécondes. L’histoire ainsi pratiquée était à la fois un moyen de gouvernement et une arme de guerre. Au dedans, elle faisait taire les partis, elle matait les oppositions, elle pliait le peuple à l’obéissance et fondait une centralisation morale plus vigoureuse que ne l’est notre centralisation administrative. Au dehors, elle ouvrait les routes de la conquête, et elle faisait à l’ennemi une guerre implacable en pleine paix. En vain aurions-nous eu les plus habiles diplomates ; les historiens allemands écartaient de nous toutes les alliances. En vain avions-nous le droit de notre côté ; les historiens allemands prouvaient depuis cinquante ans que le droit serait toujours contre nous. On préparait la guerre depuis un demi-siècle, et c’était nous, quoi qu’il arrivât, qui devions passer pour les agresseurs. D’ailleurs la guerre des soldats devait avoir les mêmes caractères et la même issue que la guerre des érudits : d’un côté, la discipline, le bon ordre, le courage collectif; de l’autre, le courage personnel, la méfiance, l’indiscipline, la division. L’histoire allemande avait, depuis cinquante ans, uni et aguerri l’Allemagne; l’histoire française, œuvre des partis, avait divisé nos cœurs, avait enseigné à se garder du Français plus que de l’étranger, avait accoutumé chacun de nous à préférer son parti à la patrie. L’érudition allemande avait armé l’Allemagne pour la conquête; l’érudition française, non contente de nous interdire toute conquête, avait désorganisé notre défense : elle avait énervé nos volontés, paralysé nos bras; elle nous avait à l’avance livrés à l’ennemi.

Avec l’ouvrage de M. Zeller, il semble que nous entrions dans une voie nouvelle. Le banal engouement pour les étrangers a disparu; nous osons ouvrir les yeux, regarder leurs défauts, contrôler leurs prétentions. Le premier volume (les autres suivront à des intervalles de quelques mois) expose l’histoire de la race allemande depuis les origines jusqu’à l’an 800 de notre ère. Cette existence de dix siècles se résume en un seul fait, l’invasion. C’est une invasion continuelle, elle s’essaie longtemps ; arrêtée par Marins, par Drusus, par Marc-Aurèle, elle est reprise à chaque génération. Tous les moyens lui sont bons ; si elle ne peut réussir contre l’empire, elle se fera par l’empire et se couvrira du masque du service impérial. Elle l’emporte enfin, elle triomphe; la Gaule, l’Italie et l’Espagne lui sont livrées en proie. Elle règne : durant