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mettaient en campagne et annonçaient à qui voulait l’entendre qu’ils allaient constituer un parti d’opposition parlementaire pour s’emparer du pouvoir à la première occasion favorable. Ils allaient jusqu’à dire qu’ils étaient las des équivoques, qu’ils voulaient en sortir à tout prix, et que pour avoir enfin une situation nette ils étaient prêts à jouer le rôle de minorité, jusqu’au jour où le pays reviendrait aux idées conservatrices, dont ils se vantaient d’être les seuls défenseurs. Aujourd’hui ces mêmes hommes se déclarent pleinement satisfaits; le régime actuel ne leur paraît plus une équivoque. « La majorité, disent-ils, a reconquis son chef, » et la république elle-même trouve grâce devant eux. Peu s’en faut qu’ils ne chantent victoire et qu’ils ne prennent à leur compte le succès de la politique de M. Thiers, comme si cette politique était la leur, et comme s’ils ne l’avaient pas combattue de tout leur pouvoir.

Que s’est-il donc passé? Faut-il croire, comme l’affirmait dernièrement un homme grave, que le gouvernement a joué la comédie en proclamant la république conservatrice, et que, sitôt la gauche dupée par ce grossier stratagème, il s’est hâté de revenir à ses anciennes affections, c’est-à-dire à la monarchie parlementaire? Rien dans sa conduite ni dans son langage n’autorise ses nouveaux partisans à faire de pareilles insinuations. La politique de M. Thiers est restée constamment la même, indépendante de tous les partis, opposée à toutes les opinions extrêmes, et, si l’une d’entre elles est venue plus souvent que les autres s’exposer à des reproches mérités, elle ne doit s’en prendre qu’à elle-même; elle a été la plus maltraitée, parce qu’elle a été la plus présomptueuse, la plus maladroite et la plus turbulente. Dirons-nous encore, comme on l’a également affirmé, qu’il y avait un malentendu entre les chefs de la droite et le président de la république? Je vous avoue que j’ai peine à croire à ce malentendu entre des hommes politiques sérieux, auxquels la situation présente de la France commande impérieusement de ne pas se diviser sans des motifs graves. A qui feront-ils croire qu’ils aient pris M. Thiers pour un révolutionnaire, ou qu’ils l’aient cru capable d’un coup d’état? Ce sont là des contes de vieille femme dont certains journaux réactionnaires peuvent se servir pour effrayer la foule, mais qui n’ont jamais pu être pris au sérieux par les chefs de la droite. La vérité, c’est qu’en déclarant la guerre à M. Thiers ils espéraient lui arracher le pouvoir et provoquer contre lui un mouvement des opinions conservatrices. S’ils se ravisent à présent, c’est qu’ils ont compris qu’ils faisaient faute route, et que le pays ne voulait pas les suivre.

Eh bien! monsieur, quoi qu’en dise M. de Castellane, ce changement me plaît, loin de m’indigner. J’y vois un heureux symptôme de la pacification qui commence à se faire, et une confirmation éclatante de la politique que je m’efforce de soutenir, et que vous avez vous-même adoptée avec tant de raison. Cette politique, nos adversaires eux-mêmes