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imaginé de créer, à l’imitation des Américains pendant la guerre de la sécession, ce qu’on appelait « l’armée auxiliaire. » On faisait ainsi des généraux, des officiers auxiliaires, qu’on se hâtait de mettre à la tête de tous ces mobilisés de garde nationale qui affluaient ; c’était une armée à former bien plus qu’une armée prête à entrer en campagne. La vraie force du général d’Aurelle était toujours dans le 16e corps, dont le général Chanzy restait le chef aussi intelligent que résolu, et dans le 15e corps, qui venait de passer tout entier sous les ordres du général Martin des Pallières. Il y avait là six divisions bien placées dès le premier jour sur les deux côtés de la route de Paris et capables de tenir tête en avant d’Orléans. Quant au reste, il fallait avoir le courage de prendre un peu de temps pour lier toutes ces forces incohérentes, pour donner à ces soldats improvisés tout ce qui leur manquait encore ; il fallait de plus savoir ce qu’on voulait faire, et surtout laisser aux généraux le soin de disposer des troupes nouvelles qu’on leur envoyait, d’organiser et de préparer leurs opérations de guerre.

Cependant M. Gambetta et M. de Freycinet, après quelques jours de patience, commençaient à ne plus se contenir. Le succès de Coulmiers les avait gonflés comme s’il eût été une victoire de leur prévoyance et de leur génie militaire. Il leur semblait qu’il n’y avait qu’à vouloir et à parler pour établir un camp retranché, pour créer des lignes de défense, pour pousser des armées en avant. A peine étaient-ils rentrés à Tours, après leur visite du 12 novembre au camp français, que déjà repris d’une fièvre de conception stratégique ils se mettaient à harceler le général d’Aurelle en lui déclarant d’un accent de reproche qu’on ne pouvait « demeurer éternellement à Orléans ; » ils le poursuivaient d’objurgations et d’interrogations, lui demandant, tantôt de communiquer ses plans pour une marche sur Paris, tantôt d’exécuter des mouvemens et des dislocations de troupes qui pouvaient être la chose la plus dangereuse du monde devant un ennemi vigilant, tantôt de jeter chaque jour 20,000 ou 30,000 hommes dans des expéditions d’aventure. Oui, M. de Freycinet, ce major-général de M. Gambetta, qui de jour en jour se sentait devenir un de Moltke français, M. de Freycinet écrivait gravement au général d’Aurelle : « Si par exemple une occasion favorable s’offrait d’écraser à quelque distance un corps inférieur en nombre, vous devriez évidemment en profiter… Lancez chaque jour une colonne de 20,000 à 30,000 hommes pour nettoyer le pays. » Je ne réponds pas que le général d’Aurelle ait gardé son sérieux en recevant ces instructions, qu’il pouvait joindre à celles par lesquelles on l’invitait à « prendre l’ennemi entre deux feux » ou à préférer trois bons chevaux à trois cents mauvais. Toujours est-il qu’on s’impatientait étrangement à Tours, qu’on ne cessait de gourmander le général