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vaincre les tièdes et les indifférens. Un jour, le fourbe déclara qu’il avait eu une vision. Un peuple immense, plus nombreux que les grains de sable de la mer et que les étoiles du ciel, s’était montré à ses regards. Il se dirigeait vers Münster. Nul ne douta que ce ne fût l’armée des frères néerlandais qui venaient au secours de la ville; Graiss ne manquait pas d’interpréter aussi dans ce sens sa prétendue vision. Il se proposa pour aller à la rencontre des libérateurs, afin de leur servir de guide aux environs de la place. On lui donna de l’argent pour son voyage et une escorte. Le traître ne fut pas plus tôt sorti de l’enceinte qu’il envoya en avant ses compagnons dans la direction de Deventer, sous prétexte de s’assurer si l’armée de délivrance débouchait par ce côté; puis il prit en secret la route d’Iburg, résidence de l’évêque, auquel il courut révéler tout ce qu’il avait appris du plan des insurgés. Le prélat l’employa ensuite comme émissaire à Wesel, où les anabaptistes étaient en force et s’apprêtaient à soutenir les assiégés. Graiss y trompa encore les crédules sectaires, qui furent livrés aux vengeances épiscopales. Les rapports faits à Iburg avaient mis le prélat au courant de tout ce qui se préparait dans les Pays-Bas. On prévint les projets des anabaptistes de Deventer et de Leyde, dont les chefs furent arrêtés et qui comme ceux de Wesel payèrent de leur vie. Dans la Frise, où les fidèles montraient des dispositions plus belliqueuses que dans la Hollande, il fut moins facile de se rendre maître des meneurs. Des tentatives d’insurrection très sérieuses s’y continuaient. Une émeute grave éclatait à Groningue, où le gouverneur faillit avoir le dessous.

Ainsi s’évanouissaient les espérances que les premiers succès des apôtres du roi de Sion avaient fait concevoir; mais Jean de Leyde persistait à faire annoncer l’approche des auxiliaires néerlandais, et il continuait d’agir comme si sa domination était déjà établie. Il créait douze ducs pour être ses vassaux dans l’empire; il traitait d’égal à égal avec les princes allemands, il écrivait au landgrave Philippe en l’appelant son cher Lips, lui donnait des conseils et l’engageait d’un air de protection à relire la Bible, afin de se convaincre de la divinité de la mission dont lui, Jean, était investi.

Les souverains des contrées voisines de Münster commençaient à comprendre la nécessité d’agir avec plus de vigueur qu’on ne l’avait fait. Le duc de Clèves et l’archevêque de Cologne s’étaient d’abord bornés à mettre leurs états à l’abri de l’invasion du mal; mais, craignant que le landgrave n’entreprît d’opérer à lui seul la soumission des rebelles et qu’il ne profitât de la victoire pour imposer le luthéranisme dans les domaines de l’évêque de Münster, ils s’étaient décidés à fournir à celui-ci un secours d’hommes, de