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1757, comme en 1870, il faut demander à la politique l’explication de nos désastres, le secret de la fatalité qui s’attache à nos drapeaux. Alors, comme de nos jours, les fautes commises dans les conseils du cabinet s’expient sur les champs de bataille ; c’est à Paris, c’est à Versailles que se préparent ces déroutes inouies dont le scandale étonne l’Europe : de là partent les influences dissolvantes, les germes corrupteurs, la contagion du désordre, de l’imprévoyance, de l’indiscipline, qui énerve le cœur de la France et paralyse son bras. En 1757, la France a des armées mal pourvues, mal commandées et partout défaites, parce qu’elle a un mauvais gouvernement.

Et qui parle ainsi ? qui dénonce avec cette précision accusatrice le principe d’affaiblissement et de ruine ? Ce sont les agens mêmes du pouvoir, honteux du rôle qu’ils jouent, indignés des légèretés coupables d’une politique aventureuse, qu’ils refusent de servir plus longtemps. Dépêches officielles et correspondances privées peignent au vif cet état chronique d’anarchie dans le despotisme, ce néant de l’autorité dans un gouvernement absolu, la sottise prétentieuse et brouillonne « des petits esprits qui veulent tâter des grandes choses, » leur agitation éperdue à l’heure des dangers imprévus, leurs folles terreurs sous le coup des catastrophes provoquées par leur témérité. Toutes les plaies d’un pouvoir en dissolution sont là, signalées par des témoins d’autant plus dignes de foi qu’ils ont leur part des faiblesses communes et sont atteints eux-mêmes du mal qu’ils décrivent. — Peut-être ne sera-t-il pas inutile d’insister sur ce grand exemple des défaillances et des aberrations de la politique française, en étudiant à la lumière de documens irrécusables, trop négligés des historiens, les aspects les plus intéressans d’une situation qui a l’inconvénient grave de se reproduire assez souvent chez nous[1].

I.

À l’époque où commence la plus importante des correspondances que nous allons examiner, l’abbé de Bernis, l’un des promoteurs de l’alliance autrichienne, rédacteur principal du double traité de 1756, entre au conseil et prend le département des affaires étrangères ; le comte de Stainville, futur duc de Choiseul, est désigné pour l’ambassade de Vienne. Des rapports plus étroits que les re-

  1. L’auteur d’un mémoire sur l’ambassade de Choiseul, lu récemment à l’Académie des Sciences morales et politiques, a consulté avec fruit la correspondance diplomatique indiquée plus haut ; mais il ne semble pas avoir connu la correspondance privée, qui seule exprime la vraie pensée de Bernis.