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sachant bien que ses bonnes amies, la marquise et l’impératrice, lui sauraient un gré particulier d’avoir sauvé les difficultés de « cette fâcheuse compagnie, » et que c’était là un sûr moyen de leur faire sa cour. On l’avait choisi, non pour ses talens, mais pour son aménité. Formé au grand art de plaire, où Bernis et Choiseul étaient maîtres, il écrivait ses rapports militaires en style de Philinte, s’étudiait à présenter des apparences agréables, et, soit flatterie, soit ignorance, trouvait le moyen dépeindre en beau le délabrement de son armée. Aussi est-il fort étonné d’être battu ; il ne sait comment cela a pu se faire : ses soldats allaient au feu « de si bonne grâce ! » Ce pauvre général, enveloppé et culbuté en un clin d’œil par un ennemi imprévu, il ne réussit pas même à nous donner une idée un peu nette d’une bataille qui a duré moins d’une heure ; en revanche, les euphémismes abondent sous sa plume pour excuser la panique de ses troupes ; il ne peut se résoudre à dire la vérité qui afflige. « Quel malheur, monsieur, écrit-il à Choiseul dans le premier étourdissement de la défaite, quel malheur ! et à quoi peut-on se fier ? Ardeur, bonne volonté, bonne disposition, j’ose le dire, étaient de notre côté ; en une demi-heure, les manœuvres du roi de Prusse ont fait plier cavalerie et infanterie ; tout s’est retiré sans fuir, mais sans jamais retourner la tête… L’infanterie, malgré la déroute de la cavalerie, s’avançait de très bonne grâce ; elle marcha sans tirer un coup de fusil jusqu’à cinquante pas des ennemis, et dans le moment où j’avais les plus grandes espérances les têtes tournèrent, on tira en l’air et on se retira. Il faut convenir que la contenance des ennemis fut très fière ; je n’y remarquai pas le moindre ébranlement. Depuis ce moment, la ligne des Prussiens s’avança toujours en faisant feu et sans se rompre ; nos brigades de la gauche reculaient sans fuir, mais, excepté quelques instans où l’on trouvait moyen de les arrêter, l’inclination pour la retraite dominait et l’emportait. Je ne parle point de l’infanterie des cercles, je ne m’en souviens que pour m’affliger du moment où j’ai eu le malheur de la joindre… L’artillerie et les équipages sont en sûreté, nos traîneurs rejoignent et j’apprends que de tous côtés les fuyards se rallient. Pendant la nuit, presque toute l’infanterie s’était dispersée. Nous commençons à nous ranimer, les propos reviennent sur le bon ton. Vous savez qu’avec les têtes françaises il y a de grandes ressources. Je me représente le tableau de la cour en apprenant cette triste nouvelle ; mon cœur en est pénétré. »

En regard de cette description adoucie, plaçons quelques lignes d’une crudité toute militaire que nous empruntons à la correspondance du comte de Saint-Germain avec Pâris-Duverney. Saint-Germain, habile officier qui se lassa bientôt de servir sous de pareils