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attend. On avait répandu beaucoup de bruits sur le résultat des conseils-généraux : en réalité, ils n’ont rien produit ; ils ne nous ont rien appris. La composition de l’assemblée nationale et son esprit représentent bien l’esprit de la France. On ne sait pas ce qu’on veut, et pourtant on voudrait autre chose que ce que nous avons. C’est étrange comme on oublie facilement dans ce pays. Je ne vois que gens qui cherchent des distractions et des plaisirs. L’effroi dont on était suffoqué l’an passé est effacé, on n’en trouve presque plus de trace. Chacun s’étourdit de son mieux. La république se traîne, mais elle tient : personne ne se montre ardent à la soutenir, pourtant personne n’oserait lui porter les premiers coups. Que mettre à la place ? On n’a pas la moindre nouvelle à se communiquer, pas d’espérances pour l’avenir ; le présent tolérable, mais nulle sécurité sur la durée de ce qui existe ; beaucoup d’inquiétude sur les finances ; on parle beaucoup des dispositions de la Gironde contre le rétablissement de l’impôt sur les boissons. Le fait est que la position des représentans de ce pays sera difficile ; il faudra bien qu’on s’assure de l’argent par ce moyen ; comment resteront-ils ? Cela m’intéresse à cause de M. de La Grange. Je suis tout aise de savoir que vous avez quitté Bordeaux ; c’est un séjour de mauvaise réputation en ce moment. Votre retour ici est retardé, mais ce ne peut être que de quelques jours ; il faut bien que vous veniez reprendre avec M. de La Grange le collier de misère. Je conçois que vous n’en éprouviez aucun désir, vos jours doivent être heureusement remplis là-bas au milieu des charmes de la campagne. Je me figure que vous êtes déjà en pleine vendange, occupée et distraite du matin au soir, avec des visiteurs sans nombre, des-gens d’affaires, des ouvriers, des bavardages sans fin. Moi, je trouve qu’il y a bien longtemps que vous êtes absente. — J’ai repris ma vie de travail, de méditation et de rêverie. Puisque la république m’en laisse le loisir, je m’empresse d’en jouir ; je n’en ai peut-être pas pour longtemps. Depuis des mois, j’avais oublié le charme de l’étude et des lectures : je m’y remets. Le gouvernement ne ratifie pas le traité signé avec Rosas par l’amiral Le Predour. — On va envoyer l’amiral Romain-Desfossés en mission temporaire pour tâcher d’obtenir quelques modifications à ces terribles conditions qui nous sont faites ; cependant on ne s’exprime que timidement, c’est uns grâce qu’on va demander. Voilà où en est réduit ce pauvre gouvernement de la France. C’est ce qui me fait craindre que Louis-Napoléon ne dure pas ; notre pays n’a ni tenue ni caractère, mais il a besoin de gloriole, il faut flatter sa vanité ; or tout ce qui se passe est loin de le faire. Ce misérable ministère ne sait que trembler. Si seulement il avait un but ! mais rien. — J’ai bien pensé à vous à la nouvelle de