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il commanda les armées prussiennes, en 1784 contre les républicains de Hollande, en 1792 dans l’invasion de Champagne, en 1793 et 1794 dans les innombrables petits combats du Palatinat bavarois, en 1806 dans la guerre désastreuse contre Napoléon.

Toutefois, on vient de le voir, ce prince, qui combattit si souvent les Français, eut toujours de grandes sympathies pour la France. Dumouriez avait cru pouvoir au début de la première coalition lui faire offrir le commandement des armées révolutionnaires. Jamais il ne sut fermer l’oreille à des propositions pacifiques. Il négocia après Valmy ; il fut l’un des conseillers de la paix de Bâle et de la ligne de démarcation ; en 1805, lorsque Haugwitz revint de Moravie avec les propositions si nouvelles de Napoléon, il conseilla d’accepter le Hanovre et l’alliance française. En 1806, il marchait à regret ; comme à Napoléon, cette guerre lui paraissait impolitique et funeste. Beaucoup de ses hésitations militaires dans la campagne de Thuringe furent causées, assure-t-on, par la secrète espérance qu’on pourrait encore avoir la paix.

On peut trouver bien rigoureuse la conduite de Napoléon envers un prince qui après tout pensait comme lui sur cette même guerre dont il tombait victime. Tout ce qu’on peut reprocher à Brunswick, c’est de n’avoir point usé assez énergiquement des droits que lui donnaient sur la cour de Prusse sa situation de prince souverain, son expérience militaire, ses longs services, son glorieux passé, son dévoûment éprouvé pour les Hohenzollern. Il excita tout d’abord la colère de Napoléon par cette « lettre très mauvaise, écrite dans le sens de l’exaltation patriotique allemande, » qu’il avait adressée au roi de Wurtemberg à l’ouverture des hostilités, et que celui-ci n’avait pas manqué de livrer à l’empereur[1]. Napoléon lui reprochait encore d’avoir « méconnu jusqu’aux lois du sang en armant un fils contre son père[2], » allusion à l’accueil que le prince Paul de Wurtemberg avait trouvé auprès de lui.

On l’emporta du champ de bataille d’Auerstaedt mortellement blessé d’un coup de feu qui lui avait ravi l’usage des deux yeux ; il montra autant de courage dans les souffrances qu’il avait montré d’intrépidité dans le combat. « J’en resterai aveugle, disait-il au chirurgien ; eh bien ! cela n’ira pas trop mal à mon âge. » Quand il fut transporté à son château de Brunswick, son ministre Wolfradt le supplia de ne pas s’arrêter, les Français arriveraient dans les vingt-quatre heures ; le ministre avait pu pressentir à certains indices, à certaines expressions des bulletins napoléoniens, qu’il n’y avait pas de ménagemens à attendre. Le duc, plus confiant

  1. Correspondance de Napoléon Ier, lettre à Talleyrand, 5 octobre 1806.
  2. Seizième bulletin de la grande armée.