Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 101.djvu/416

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’arrêta court. — Papa, c’est trop difficile ; je ne peux pas apprendre ça. D’ailleurs le colonel a dit que ça n’avait pas de bon sens de me faire tant travailler.

— Ma chère enfant, dit Levestone d’un ton ferme, quoiqu’au fond il eût le sentiment qu’en cas de lutte ce ne serait pas lui qui l’emporterait, ma chère enfant, il faut faire ce que je vous dis. Voyons, ma chérie, un petit effort; si vous apprenez bien votre leçon, je vous emmènerai faire une grande promenade à cheval. Tenez, Sultan vous attend.

Il essayait vainement de la séduire, Cécile resta incorruptible. Forte de l’appui du colonel, elle était décidée à tenir tête à son père et à livrer bataille. — Papa, je vous dis que je ne peux pas... D’abord, mon parrain a dit que ça n’avait pas de bon sens. Vous êtes un méchant... je ne veux pas... vilain livre... méchant livre... continua-t-elle en jetant son alphabet à terre et en le piétinant.

Pendant que son père consterné se demandait ce qu’il allait faire, le colonel Meredith entra tout à coup. — Eh bien! eh bien! s’écria-t-il en apercevant Cécile, dont le visage échauffé et les cheveux en désordre indiquaient une grande surexcitation ; qu’est-ce que cela veut dire ? Ça, Cécile, la reine du régiment ? fi donc ! nous ne connaissons pas cette petite fille-là!

— Mon parrain, répondit-elle en se tournant avec empressement vers le colonel, et en donnant un coup de pied méprisant au livre qui gisait sur le plancher, vous avez dit que ça n’avait pas de bon sens, et alors j’ai dit à papa que je ne voulais pas apprendre... et je n’apprendrai pas.

Qui fut stupéfait? Ce fut le colonel. Il regarda Levestone ; celui-ci avait une mine si piteuse que Meredith fut pris d’un fou rire. — C’est votre faute, dit Levestone. Si vous étiez un bon parrain, ces choses-là n’arriveraient pas.

— Et que voulez-vous donc que je fasse? demanda le pauvre colonel, tout interdit de voir que c’était à lui qu’on s’en prenait.

— Que vous lui appreniez les dix commandemens, cela vous regarde; surtout faites-lui bien remarquer le cinquième.

— Je crois que je ferai un triste professeur, mais je veux bien essayer. Je n’ai rien à faire aujourd’hui, nous allons commencer tout de suite.

Effectivement il se mit à l’œuvre. Au début, tout alla parfaitement. Le colonel avait une manière à lui d’enseigner qui amusait l’enfant. C’est au cinquième commandement que les difficultés attendaient le professeur. Cécile déclara qu’elle ne le comprenait pas. Meredith l’expliqua donc à sa façon.

— Mon parrain, vous dites des bêtises, répondit l’impertinente petite créature. Je sais que ce n’est pas du tout comme ça.