végétation des tropiques menaçait d’ensevelir bientôt sous sa riche verdure. La vue de ces monumens de l’art et de l’orgueil humain tombant en poussière sous l’action du temps inspirait à Cécile des réflexions morales sur la vanité et l’instabilité des choses de ce monde. Elle était disposée à s’abandonner à l’impression mélancolique causée par la scène qu’elle avait sous les yeux. Les jeunes cœurs paisibles aiment ces tristesses factices, dont le charme vient de ce qu’elles sont volontaires.
Les méditations rétrospectives de Cécile ne faisaient nullement le compte de son compagnon. — Laissez, laissez ces vieux Hindous à la poussière et aux toiles d’araignée qui s’accumulent sur eux depuis tant de siècles ; venez vous asseoir au bord de ce petit ruisseau qui s’est irrévérencieusement frayé un passage à travers les demeures silencieuses des morts, et dont le babil parle de joie, de jeunesse et d’amour.
Elle leva sur lui ses grands yeux étonnés. — Vous êtes poète, dit-elle. Contez-moi ce que vous dit le ruisseau. Pour moi, je n’entends qu’un murmure incessant dont la monotonie me fatigue.
— Asseyez-vous là ; je vous le dirai.
Elle s’assit ; Villars se jeta sur l’herbe à ses côtés. — Je vais vous enseigner la langue du ruisseau. À chacun, il murmure un conte différent ; cependant il doit vous dire les mêmes choses qu’à moi, car à tout ce qui est jeune il répète une même légende. Il y avait une fois un jeune homme qui aimait une belle jeune fille dont il n’était digne que par la grandeur de son amour. Il portait son image dans son cœur ; il avait mis en elle toutes ses espérances ; il la respectait, et il l’adorait en même temps. Voilà ce que me dit le ruisseau ; mais, continua-t-il avec une teinte de tristesse, mais le ruisseau n’ajoute pas si l’amour profond et sincère a été récompensé, si la beauté a été touchée par le dévoûment, si l’amour a gagné l’amour. Dites-moi, à votre tour, la fin de l’histoire. La fée des eaux fera-t-elle triompher l’amour ?
Elle réfléchit quelques instans sans parvenir à comprendre nettement où il voulait en venir. — Écoutez ce que dit la fée des eaux, répondit-elle enfin en levant la main. L’amour ne gagne pas toujours l’amour. La jeune fille n’aimait pas le jeune homme ; peut-être n’était-elle pas digne de lui. En tout cas, si elle a été fière et froide, le ruisseau ne dit pas que le jeune homme ait été inconsolable de ses dédains. Tenez, ajouta-t-elle en riant et en désignant du doigt un lilas dont les rameaux inclinés effleuraient la surface des eaux, ce grand lilas est la reine des fées ; je vais le punir de vous avoir rendu triste. — Elle ramassa un fragment de bois qu’elle lança à l’arbuste.
Cet enfantillage exaspéra le jeune Villars, qui fut tenté de lui ré-