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quement jusqu’au bout l’innocence de son camarade. Quant à Cécile, le doute ne pénétra pas dans son cœur. A ses yeux, le colonel avait inventé cette basse calomnie pour se délivrer de Gérald. Tant de méchanceté et de déloyauté chez Houston, tant de crédulité chez les autres la révoltaient. — Mon père! s’écriait-elle, vous devriez rougir d’avoir cru cela ! Lui, commettre une pareille action !

— Ma chère fille, je suis aussi désolé que vous d’être obligé de penser du mal d’Anstruther, mais je dois dire, à mon grand regret, qu’il s’est tellement troublé quand on l’a interrogé, qu’il était impossible de ne pas voir qu’il était coupable.

Cécile sortit sans répondre; elle monta dans sa chambre, se jeta sur le plancher et éclata en sanglots convulsifs. Pendant qu’elle se désolait ainsi, son ami s’absorbait à son tour dans ses réflexions amères. La pensée qu’elle aussi le croyait peut-être coupable lui était mille fois plus douloureuse que tout le reste. Qu’était-ce que la perte de sa carrière, que la désertion de ses amis, que le déshonneur même, auprès de l’opinion qu’elle aurait de lui? Si elle l’abandonnait, il ne lui restait rien sur cette terre. Torturé par ce doute, lorsqu’il sut qu’il était condamné, il ne songea qu’à se justifier aux yeux de Cécile. Villars avait voulu rester auprès de lui jusqu’au dernier moment; il le pria d’aller trouver miss Levestone et de lui dire de sa part qu’il était innocent. Il attendrait jusqu’au lendemain pour connaître le succès de son message.

Villars se rendit chez Cécile le soir même. Lorsqu’il lui répéta les paroles de son malheureux camarade, elle rougit d’émotion. — Vous au moins vous êtes un véritable ami. Vous ne doutez pas de lui. Il faut que vous m’aidiez... Je veux le revoir une dernière fois; vous me conduirez chez lui, vous ne me refuserez pas cela ?

Villars resta un peu étourdi de la proposition. Il résista longtemps aux instances de sa jeune amie, et ne céda que lorsqu’il vit que, s’il ne l’accompagnait pas, elle irait seule.

Le lendemain à déjeuner, Cécile avertit son père qu’elle allait faire des visites. — Avez-vous besoin de quelque chose avant que je sorte?

— Non, répondit-il en s’étonnant à part soi de la rapidité avec laquelle avaient passé son indignation et son désespoir, car Cécile paraissait animée, presque gaie. Si son père avait été observateur, il aurait remarqué que sa gaîté était forcée, et que sa voix avait des inflexions métalliques qui ne lui étaient pas naturelles. L’amour et la piété filiale s’étaient livré combat dans le cœur de la jeune fille ; l’amour l’emportait, et son cœur se détournait de son père, qui osait condamner celui qu’elle aimait. Son parti était pris. — S’il veut de moi à présent, se disait-elle, je le suivrai, quel que soit son sort.