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le nom de cardinal de Montalte il avait vécu pendant les dernières années du pontificat de Grégoire XIII dans une sorte de disgrâce. C’était un personnage important dans le sacré-collège, et dès l’ouverture du conclave les ambassadeurs étrangers le signalent à leurs cours comme un cardinal papable. Il était porté principalement par le parti des Médicis, resté fort influent à Rome, et représenté par un cardinal habile, qui ménagea une élection par adoration, c’est-à-dire par acclamation, à son candidat. L’ambassadeur espagnol à Rome ne se méprit point sur les conséquences de l’élection. Grégoire XIII avait été dévoué à l’Espagne. La correspondance diplomatique fit pressentir à Philippe II un pape qui ne devait pas être de son bord. Henri III et les Guises eurent promptement aussi l’occasion de s’en convaincre. L’association de Henri III avec la ligue était également repoussée par l’intérêt personnel du roi et par l’intérêt politique de la France. Elle avait jeté le royaume dans les bras de Philippe II, car les Guises étaient impuissans pour fonder un état indépendant, en les supposant vainqueurs des huguenots et de la royauté. De la part d’Henri III, cette association était l’abdication même; elle ôtait à la couronne son dernier prestige, car nul ne la pouvait croire sincère, et certes elle ne l’était pas. Sixte-Quint s’exprima sur cet acte de faiblesse avec une rudesse qu’attestent tous les monumens.

Il en est un surtout dont M. de Hübner ne parle pas, et dont je ne m’explique pas qu’il n’ait pas eu connaissance. Il est vrai que les portefeuilles dont il a fait usage n’ont pu le lui révéler. C’est une lettre du duc de Nevers au cardinal de Bourbon, désigné par le traité de Joinville pour devoir être l’héritier présomptif de la couronne après la mort d’Henri III. La vacance de la papauté et l’indication d’un conclave avaient décidé les coalisés ligueurs à députer à Rome Ludovic de Gonzague, duc de Nevers, pour y soutenir les intérêts de la ligue et pour aviser aux exigences de la situation. Ce personnage assez variable dans ses attachemens était pour l’heure engagé avec la ligue, et les ligueurs, confians en son habileté dans les négociations, avaient remis leurs affaires dans ses mains. M. de Hübner indique son arrivée à Rome au 1er juin. Les Mémoires de Nevers indiquent une autre date, c’est-à-dire la fin de juillet. J’ai lieu de croire que cette dernière est la vraie[1]. Il fut immédiatement admis à l’audience du pape, selon le témoignage d’une dépêche qui a tous les caractères de l’authenticité. Le nouveau pape se montra résolument au duc de Nevers comme un partisan de l’autorité royale en France, et comme attaché à l’équilibre de l’Europe rompu par la prépondérance de l’Espagne. La situation

  1. La différence doit provenir de la réforme grégorienne du calendrier, qui, accomplie à cette époque, venait à peine d’être admise en France (1584).