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cendre une fois par hasard, et qui doivent être d’autant plus courtes qu’elles empiètent sur les intérêts de l’état, auxquels des hommes de tel air sont exclusivement voués par nature. Il semble qu’à ces hauteurs où l’on se place, la critique ne devrait pouvoir vous atteindre, et c’est le contraire qui arrive. Ces paladins et ces dandies vous ont des irascibilités d’hommes de lettres. A dire vrai, la façon dont la Revue d’Edimbourg accueillit ces essais, d’ailleurs médiocres, eût agacé le moins présomptueux. Cette volée de bois vert sur le dos du poète contusionna aussi par maint endroit le gentilhomme, Il releva l’affront, y répondit fièrement par la plus insolente des satires : Bardes anglais et critiques d’Ecosse, une de ces flèches que le carquois d’Apollon tient en réserve contre les ennemis. Toute l’inspiration byronienne est là: superbe, acerbe, provocante, méprisante, défiant les hommes et bravant les dieux. Southey, Wordsworth, Scott, le comte Carlisle son tuteur, lord Holland, autant de Marsyas écorchés sans merci! Byron, comme Juvénal, aime l’hyperbole, et, pourvu qu’il frappe dur, ne regarde guère sur qui tombent les coups de sa massue. À ce début succède un temps d’arrêt pendant lequel l’orage de cette existence se concentre sur Newstead. Il y vit en assez médiocre intelligence avec sa mère, jusqu’à ce jour où l’ennui, le dégoût, le sentiment de ses extravagances, font décidément naître en lui cette irrémédiable mélancolie qui demeure aux yeux de la postérité le plus sympathique de ses attributs. « Ici reposent les restes mortels d’un être qui fut beau sans vanité, fort sans présomption, d’un être bon et courageux qui, doué de toutes les vertus de l’homme, n’eut aucune de ses faiblesses. Et cet éloge, qu’on prendrait pour une vaine flatterie en le lisant sur la tombe d’un individu de notre espèce, n’est qu’un humble gage de reconnaissance adressé à la mémoire du chien Boatswain! » Une telle boutade explique mieux que tous les commentaires la disposition morale de celui qui s’y laisse aller; infatuation, amertume et dépit, haine à l’humanité par le trop grand amour qu’on a de soi dès l’entrée dans la vie, et dont l’influence reparaîtra dans tous les actes comme dans toutes les œuvres du personnage! Les Alcibiade mal réussis font les Timon.

Dégoûté de son pays, mécontent de soi-même, Byron quitta l’Angleterre pendant l’été de 1809. Il vit Lisbonne, l’Espagne, la Grèce, traînant au loin l’inquiétude et les déchiremens de son cœur, patriœ quis exsul se quoque fugit, traînant aussi l’implacable sarcasme, et trouvant moyen d’agacer, d’irriter à distance ses chers compatriotes les Anglais. « La supériorité des Anglais, écrit-il à sa mère, est une chose que sur nombre de points nous aimons à nous exagérer. N’importe, quand cette supériorité se montre à moi, je la