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à poète, que d’affinités! le génie d’abord, cela va sans dire, puis le ton des classes supérieures, cette indifférence, ce mépris envers les douleurs, les plaisirs et les travaux des autres, cette habitude innée de ne compter jamais qu’avec soi-même, et finalement cet incessant besoin d’agiter, de passionner le monde et de tout ravager sur son passage, quitte à dédommager ensuite par une larme ou quelque rime les pauvres cœurs qu’on a troublés.

C’est à la conversion de lord Byron que la deuxième des Méditations poétiques et religieuses est consacrée. L’esprit de révolte et de haine y reçoit doucement son admonition. On lui rappelle en vers harmonieux cette vérité peu nouvelle, mais dont les âmes endolories perdent trop volontiers la mémoire, à savoir que l’homme est créé pour souffrir, comme l’onde est faite pour couler, le torrent pour mugir, et fraternellement on invite la brebis égarée à rentrer dans la voie.

……… Gloire au maître suprême,
Il fit l’eau pour couler, l’aquilon pour courir,
Les soleils pour brûler et l’homme pour souffrir!


Éloquente et suave homélie qui laisse percer bien de l’indulgence en faveur du réprouvé! Sous ces fleurs de beau langage, c’est de la vraie sympathie qui se dérobe; insensiblement vous vous prenez à songer au gracieux poème d’Alfred de Vigny. Byron est pour Lamartine ce que le tentateur est pour Éloa :

Et toi, Byron, semblable à ce brigand des airs,
Les cris du désespoir sont tes plus doux concerts;
Le mal est ton spectacle et l’homme est ta victime,
Ton œil, comme Satan, a mesuré l’abîme,
Et ton âme, y plongeant loin du jour et de Dieu,
A dit à l’espérance un éternel adieu...
………….
Ton génie invincible éclate en chants funèbres,
Il triomphe, et ta voix sur un mode infernal
Chante l’hymne de gloire au sombre dieu du mal.

Comme la Vierge étoilée sur son nuage, le poète, tout en évangélisant le démon, subit son charme; allons plus loin, tant de moralité l’assomme, il en veut à la force des choses de lui imposer ce caractère, et se plaint de tout ce mysticisme qui l’attache au rivage, alors qu’il ne demanderait qu’à s’élancer vers la haute mer, à braver les flots et les tempêtes, à jouer en un mot aux yeux du monde de son époque le personnage bien autrement séduisant, prestigieux, de ce damné chevaleresque dont toutes les femmes sont éprises, et qu’une brillante jeunesse avide d’activité, de jouissances, d’émotions, acclame comme son représentant. « Ce poète misan-