gnage. Le poète a résisté; oui, c’est un maître, « le maître! » comme disait M. Villemain, dont la voix nous revient aujourd’hui avec cette puissance de vibration qu’elle avait en récitant les stances de Childe-Harold. Les héros et les demi-dieux sont des hommes, nul mieux que lord Byron ne l’a démontré par l’exemple de sa vie; chez eux, les misères humaines empiètent fatalement sur le côté divin; pleins de l’idée d’eux-mêmes, enflés de leur mérite, ils se séparent de la société au premier sujet de rupture; insensiblement la mésintelligence s’accroît, amenant le divorce. Ils entendent ne se tromper jamais, leurs avortemens doivent passer pour des merveilles, et la réverbération de leurs chefs-d’œuvre les éblouit jusqu’à les rendre fous. Comme l’amitié a ses restrictions, ils n’admettent autour d’eux que des flatteurs et des complaisans. N’est-ce pas l’histoire de toutes les royautés? raison de plus pour n’étudier les rois que dans leurs actes et leurs œuvres. À ce compte seulement, nous sauvegarderons nos illusions. L’héritage d’un grand homme n’est point dans ce qui le rapproche de nous, il est au contraire dans ce qui l’en éloigne et nous le rend inaccessible. Le poème de Childe-Harold, certaines parties de Don Juan atteignent ce but :
Sume sujperbiam
Quæsitam meritis, et mihi Delphica
Lauro cinge volens, Melpomene, comam!..
Que les gens soucieux des trésors de l’esprit humain se rassurent;
si le héros d’un jour a disparu, l’œuvre tient, immortelle par divers
côtés, et dans l’ensemble moins affectée qu’on aurait pu le craindre.
Byron subsiste, et c’est à son amour de la nature, à ses élans de
cœur vers la liberté qu’il le doit. L’antique phare d’Héro que le
noble lord prit pour guide en traversant l’Hellespont à la nage
brille encore et brillera éternellement aux yeux de qui n’aura point
désespéré de l’idéal.
HENRI BLAZE DE BURY.