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nion publique dont il se sentait abandonné ; et le pape accorda non-seulement cette légation extraordinaire, pour laquelle il avait peu de penchant par des motifs de politique générale, mais encore il signa la nomination de Morosini à cette grande charge, nomination qui, dans les circonstances présentes, devait avoir une signification particulière. Évidemment le pape, plus exactement informé de la vérité, envisageait la journée des barricades et l’audacieuse entreprise de la ligue catholique sous l’aspect de l’intérêt royal, qui lui était cher comme souverain et comme esprit politique. Il voulait bien qu’on réduisît les huguenots à l’obéissance, mais il voulait avant tout la subordination des sujets à l’autorité de leur roi. Telle est l’intention et la lettre de ses actes. M. de Hübner nous apprend qu’à cette occasion un ancien projet d’intervention du saint-siège avec des forces pontificales (30 ou 40,000 hommes) dans les affaires de France revint à l’esprit de Sixte-Quint, pour remettre la paix dans ce royaume au moyen d’une entente particulière du pape avec la royauté. Toute chimérique qu’elle était, cette pensée, qui paraît avoir été l’objet d’une correspondance entre le pape et Morosini, atteste la politique vers laquelle penchait l’âme altière, généreuse et sage du pontife.

Ce fut à cette époque du crédit de Morosini soit à la cour de France, soit à la cour romaine, que se produisit une idée bizarre dont nous avons déjà parlé, à laquelle M. de Hübner, par estime peut-être pour Morosini, attache trop de faveur, quoique son bon esprit lui en montre le caractère impraticable ; je veux parler d’un rapprochement intime des cabinets de Madrid et de Paris, par un traité d’alliance étroite des deux monarques Philippe II et Henri III, alliance dont tous les adversaires ou ennemis des deux couronnes d’Espagne et de France devaient payer les frais, et à laquelle la papauté aurait donné son éminent patronage. Si je ne me trompe, Philippe II apprécia judicieusement cette proposition, au point de vue de son intérêt, en s’abstenant d’y répondre. La France était-elle en mesure de provoquer sérieusement un tel revirement de politique ? et l’Espagne pouvait-elle prêter l’oreille à un projet qui entraînait le renversement des plans poursuivis par deux générations de grands souverains, et le sacrifice accompli sans nécessité ni compensation de la prépondérance espagnole ? Olivarès exagéra probablement la portée de cette idée en y voyant un piège ; mais à coup sûr Morosini ne fit preuve ni d’esprit pratique, ni de tact d’homme d’état, en portant une pareille ouverture à cette malheureuse cour de Valois réduite à tous les expédiens, et en engageant son souverain à communiquer ce projet à un profond politique comme Philippe II. Je croirais avec Olivarès et M. de Hübner que Morosini n’a eu qu’une visée ambitieuse et personnelle en le proposant.