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les plus perfidement et les plus audacieusement accomplis dont il soit parlé dans l’histoire, c’est le chef-d’œuvre du genre, si l’on peut ainsi parler. L’intelligence d’Henri III n’a pas de plus glorieux monument. Tout le monde en connaît les sombres préparatifs et les tragiques détails[1]; je ne les reproduirai point ici. De Thou les a conservés dans sa grande histoire; Etienne Pasquier, député aux états, en a laissé le récit; un médecin d’Henri III, Miron, en a écrit la relation, et une information judiciaire prise à Paris en a constaté les divers incidens. Parmi les modernes écrivains de notre histoire, tous ont raconté cet odieux drame, et les descriptions du château de Blois en complètent la légende. Je m’abstiendrai à cet égard de redites dépourvues d’intérêt. Je ne parlerai même pas des rapports que Mendoza fit sur ce point à Philippe II, quelque curieux qu’ils soient. Ce qui est moins connu est la partie qui touche notre sujet, et nous en devons la divulgation à M. de Hübner. Quel effet l’annonce de ces assassinats produisit-elle à Rome, et quelle fut l’attitude de Sixte-Quint en face de cet événement? La première nouvelle du meurtre du duc et du cardinal de Guise fut portée à Rome par un courrier de l’ambassade de Savoie. Le lendemain 5 janvier on en reçut la confirmation par les rapports du légat Morosini et les lettres du roi lui-même à M. de Pisani, son ambassadeur.

Le rapport du légat Morisini donnait au pape tous les détails de la sanglante catastrophe. Il résidait à Blois auprès de la cour de France. Dès le premier bruit qui courut en ville de ce qui se passait au château (et on le pressentait dès la pointe du jour), Morosini se rendit au palais, mais il ne parvint point à forcer la consigne. Malgré ses instances, il ne put être admis que le lendemain de la mort du cardinal de Guise, c’est-à-dire le 25. Le roi lui donna audience par le billet suivant : « Monseigneur le légat, me voilà roi. J’ai pris cette résolution de ne plus tolérer injure ni mauvais traitement. Je me maintiendrai en cette résolution au dommage de qui que ce soit, et, à l’exemple du pape notre saint père, m’étant fort bien souvenu de sa façon de parler, qu’il se faut faire obéir et châtier ceux qui nous offensent. Puisque j’ai atteint mon but, je vous recevrai demain, s’il vous plaît. » Morosini fat embarrassé sur la conduite à tenir, et son rapport se ressent de l’état de son esprit. Il délibéra s’il devait faire éclat, se retirer de la cour, excommunier le meurtrier; la crainte d’engager son souverain sans y être autorisé le détourna de cette pensée; mais il ne put se résoudre à garder le silence, et, rendu au château, il fit entendre au roi dans un entretien particulier les plus sévères paroles. Morosini éprouva le même embarras

  1. Ils sont complets dans l’ouvrage de M. de Croze, que nous avons déjà cité, t. II.