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mais non sans consulter ses associés. La massara s’occupe de tous les soins domestiques. Le chef des étables se nomme bifolco; c’est lui qui dirige principalement les labours. Le goût de l’indépendance, le désir de s’enrichir, l’esprit moderne en un mot, minent ici, comme aux bords du Danube et autrefois en France, ces antiques institutions. M. Jacini a parfaitement analysé les différens sentimens qui vont en amener la complète disparition. Les hommes commencent à dire : « Pourquoi resterions-nous avec tous les nôtres sous l’autorité d’un maître? Il vaut bien mieux que chacun travaille et pense pour soi. » Les bénéfices résultant du travail industriel formant un pécule particulier, les associés sont tentés de grossir celui-ci au détriment du revenu commun, et ainsi les dissensions et les querelles d’intérêt troublent l’entente fraternelle. Les femmes surtout excitent, paraît-il, l’insubordination des maris. L’autorité de la massara leur est à charge; elles éprouvent le besoin d’avoir un ménage à elles. Chacun voit bien les avantages de l’association patriarcale, le vivre et le couvert plus assurés, les maladies mieux supportées et moins ruineuses, les travaux agricoles plus facilement exécutés, et malgré cela le désir de vivre indépendant l’emporte; on sort de la communauté.

Aujourd’hui il semble qu’on veuille reconstituer les anciennes communautés agraires sous une forme nouvelle. En Angleterre, plusieurs exploitations agricoles ont été établies sur le principe coopératif. L’une des plus anciennes est celle de Balahine, en Irlande, établie en 1830 par un disciple d’Owen, John Scott Vandeleur. Elle donnait, paraît-il, les meilleurs résultats, tant au point de vue économique que moral[1], lorsque l’expérience prit fin tout à coup par la fuite de Vandeleur, qui s’était ruiné complètement au jeu. Le rapport du révérend James Fraser, aujourd’hui évêque de Manchester, commissaire du gouvernement dans l’enquête sur l’emploi des femmes et des enfans dans l’agriculture, fait connaître deux sociétés agricoles coopératives qui semblent réussir parfaitement. Elles ont été établies sur les terres et par le concours de M. J. Gurdon, d’Assington-Hall, près de Sudbury, dans le Suffolk. La première remonte à 1830. Elle s’est constituée sous l’inspiration de M. Gurdon par l’association de 15 simples ouvriers des champs, qui versèrent chacun 3 liv. sterl., et à qui le propriétaire en prêta 400. Aujourd’hui ils ont porté l’exploitation de 60 à 130 ares; ils ont restitué la somme prêtée, et chaque part vaut environ 50 livres, ce qui représente plus de 16 fois la mise primitive. L’un des coopérateurs, élu par ses associés, dirige l’exploitation avec le concours de

  1. Voyez le livre de M. William Pare, Coopérative agriculture. Il contient des détails intéressans; mais l’auteur, séduit par l’attrait de ses propres utopies, pourrait bien avoir vu les choses trop en beau.