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publique, des réformes auxquelles le temps n’a rien changé. Quand je visitai cette côte, il y a quelques mois, tout occupé avec l’artiste qui m’accompagnait, M. Chaplain, des études qui faisaient l’objet de notre voyage, l’accueil sympathique que nous recevions nous frappa tout d’abord. Nous n’avions pas le goût de répondre trop vite à une bienveillance que nous comprenions mal encore et qui pouvait cacher quelque pitié pour nos récens désastres. Le temps nous montra qu’elle ne devait rien ni à des sentimens de cet ordre, ni à une politesse superficielle, qu’elle s’expliquait par des raisons profondes et anciennes, par une vieille reconnaissance pour des amis d’autrefois. Nous pouvions l’accepter. Elle a donné à ce voyage un charme particulier auquel nul Français ne fût resté insensible. Nous devions voir du reste par la suite en descendant vers la Turquie, en Albanie et en Épire, combien les derniers événemens ont peu changé dans ces parties reculées de l’Europe l’idée qu’on se fait de la France. Ces peuples ont suivi avec une surprenante curiosité tous les incidens de la guerre; pour la première fois des bulletins turcs, grecs, italiens, les tenaient au courant des batailles livrées en Occident. Les musulmans sont pour le voyageur français tels que je les avais vus en 1864 et en 1868. Il m’a été impossible de saisir le moindre changement dans leur manière de se conduire à notre égard. Ils ont sur cette guerre une opinion très simple et toute fataliste : l’épreuve a été cruelle; il faut attendre le lendemain. Les chiffres de l’emprunt ont pénétré dans ces provinces. C’est une surprise tout à fait étrange que d’entendre votre hôte, un paysan ou un petit propriétaire qui vous reçoit dans une cabane perdue au fond des montagnes, à quatre ou cinq jours de la mer, vous parler des milliards que nous avons souscrits. Ces sommes, dont nul ne se fait une idée quelque peu précise, sont devenues légendaires comme les trésors d’un prince aussi riche que les Francs, le calife Haroun-al-Raschid. Ni les Albanais, ni les Grecs, ni les Slaves, ne pensent autrement que les Turcs. Pour ces contrées nous sommes ce que nous étions hier, ce que nous serons demain. La foi dans nos destinées n’a pas été atteinte. Nous contribuons du reste à la maintenir en ne changeant rien en Orient à nos anciennes habitudes. Si la station navale du Levant a été diminuée, cette réduction est provisoire et notre drapeau a paru cette année sur tous les points où il se montrait d’ordinaire. Nos services de transports maritimes reviennent aux itinéraires qu’ils suivaient en 1870. Les subventions à nos protégés naturels restent les mêmes; nous envoyons des missions scientifiques comme par le passé. A l’extérieur comme en France, ramener notre vie de tous les jours à l’activité d’autrefois, faire autant que possible ce que nous faisions, mais avec plus de prudence et une juste économie, telle a été la pensée qui a inspiré