Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 101.djvu/70

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aujourd’hui partout engagés dans une lutte déplorable, secondement qu’on associe la petite propriété, très désirable au point de vue social, à la grande culture, très profitable au point de vue économique parce qu’elle emploie des machines et des assolemens rationnels. Cependant, il ne faut point se faire illusion, l’association entre cultivateurs sera difficile à généraliser. Le succès des expériences faites à Assington, en Angleterre, et en Allemagne sur le domaine de Tellow, est dû en grande partie à l’influence prépondérante de M. Gurdon et de von Thünen. Les anciennes communautés agraires étaient en réalité des sociétés agricoles coopératives; elles avaient pour fondement les liens du sang, les affections de la famille et des traditions immémoriales, et pourtant elles ont disparu, non par l’hostilité des pouvoirs publics, mais lentement minées par ce sentiment d’individualisme, d’égoïsme, si l’on veut, qui caractérise les temps modernes. A la place de l’esprit de famille, qui s’est affaibli, un nouveau sentiment de fraternité collective se développera-t-il avec assez de puissance pour servir de ciment aux associations de l’avenir? On peut l’espérer, et les difficultés de la situation actuelle le font singulièrement désirer; néanmoins il est trop évident que les classes laborieuses, surtout celles des campagnes, manquent encore des lumières et de l’esprit d’entente mutuelle qui sont indispensables à la bonne marche de l’association coopérative. Tout en espérant pour celle-ci un brillant avenir, on peut dire que son heure n’est pas encore venue.

Il est une autre forme ancienne de la propriété que les législateurs et les économistes ne doivent point négliger d’examiner, parce qu’elle peut apporter un élément de conciliation dans le débat engagé partout entre celui qui met la terre en valeur et celui qui touche la rente : cette forme est celle du bail héréditaire, connu en Hollande sous le nom de beklem-regt, en Italie sous celui de contratto di livello, en Portugal sous celui d’aforamento. On le retrouve également en France dans différentes provinces et sous différentes dénominations. En Bretagne, on l’appelle quevaises, ailleurs domaine congêable et en Alsace erbpacht. Comme dans le système féodal, la pleine propriété est pour ainsi dire scindée en deux droits distincts, le droit du propriétaire, qui n’est au fond qu’une sorte de créance hypothécaire, et le droit du tenancier, qui est comme un usufruit héréditaire. En Portugal, l’aforamento[1] donne à celui qui occupe une terre le droit de continuer à la détenir indéfiniment à la condition qu’il remplisse exactement les clauses du contrat. Il

  1. J’ai eu l’occasion d’étudier sur place ce curieux mode de tenure, avec l’aide de l’économiste M. Venanzio Deslandes et de l’éminent historien, mort récemment, M. Rebello da Sylva, qui tous deux se sont spécialement occupés de l’économie rurale du Portugal dans le présent et dans le passé.