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l’avait connu. Arrivé à ce faîte, il éprouva une profonde lassitude de l’action, des hommes, du pouvoir, de toutes choses. Il partagea l’empire et vint planter ses laitues à Salone. Ces laitues sont célèbres ; on connaît moins la demeure qu’il se fit bâtir. Ce château est resté légendaire dans l’imagination du moyen âge cependant ; la tradition répéta longtemps que pour achever cette grande œuvre il fallut épuiser la province, que le sang des chrétiens fut mêlé au ciment des murs, dernière vengeance de ce persécuteur. L’édifice est aujourd’hui sinon intact, du moins si bien conservé qu’il est facile de se figurer ce qu’il était. C’est un de ces monumens si rares qui en apprennent plus sur une époque que toute une histoire. La façade principale donne sur la mer, les flots en baignent les pieds ; la brise la rafraîchit tout le jour. De hautes montagnes forment dans le fond un vaste cirque. Pline n’eût pas choisi un site plus à souhait pour une villa de lettré. Cette demeure est immense ; la ville de Spalato s’y loge presque tout entière ; plus de 4,000 habitans occupent l’intérieur du palais. Dans cet entassement, les maisons modernes sont suspendues comme des cages aux murs des chambres impériales ; les voitures passent dans le triclinium du prince, les soldats autrichiens font l’exercice dans les salles de réception. La façade qui regarde la mer compte 180 mètres de longueur ; 50 arcades, 50 pilastres doriques, que surmontaient des statues, la décorent ; cet ensemble est simple et grand. Le palais a la forme d’un rectangle ; des trois autres côtés, si on excepte quelques bas-reliefs de la Porte dorée, les murs sont nus, épais de 3 et 4 mètres, construits de grosses pierres à la base, de briques, devenues aussi dures que des pierres, à la partie supérieure, flanqués de tours. Deux observatoires permettaient de voir au loin sur la mer et dans la plaine. La belle façade principale n’a pour entrée qu’une poterne, qui donne accès à un couloir souterrain ; trois hommes de front n’y pénétreraient pas, l’obscurité du reste y est profonde. C’était surtout du côté de l’Adriatique qu’était le danger, par là que pouvait venir quelque vaisseau commandé par un de ces grands dignitaires, prêts à tout, esclaves libres d’hier, qui avaient la main sûre. Quant aux barbares, s’ils descendaient de la Prévalitane, fermer les portes suffisait ; ces hordes indisciplinées se briseraient contre ces murs. Dioclétien sortait peu ; il restait dans ses appartemens invisible aux Salonitains comme au reste du monde. Il avait du reste dans le palais pour la promenade la vaste galerie de la façade principale, pour ses actes de piété un temple si grand que la ville de Spalato a pu en faire une cathédrale. C’est une rotonde surchargée de sculptures, de cette profusion d’ornemens que prodiguait la décadence. L’artiste a surtout traité avec soin une guirlande d’amours qui fait à l’intérieur le tour de l’édifice. Ces génies