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passer à l’action, à mettre la main sur l’héritage qui leur était destiné, et ce qu’il y a de mieux, c’est qu’ils avouent avec une certaine naïveté le secret de leur stratégie et de leurs manèges pour attirer le gouvernement dans leurs combinaisons. Les radicaux se sont trompés, ils ne sont pas encore de force à prendre le gouvernement dans leurs pièges ; mais ils ont fait assurément depuis quelques jours tout ce qu’il fallait pour l’éclairer sur leurs desseins, sur la mesure de leur modération et de leur patriotisme, comme aussi ils ont fait tout ce qui était nécessaire pour montrer au pays lui-même où ils prétendaient le conduire. Les radicaux ne pouvaient certes donner une idée plus significative de leur esprit politique et de leur tact qu’en commençant leur campagne par la célébration de cet anniversaire du 22 septembre, qui place la naissance de la première république entre les massacres des prisons de Paris et la terreur.

Voilà qui est servir avec intelligence la république nouvelle ! M. le ministre de l’intérieur a eu beau leur rappeler que ce n’était peut-être pas le moment de se réjouir, de se livrer aux libations et aux déclamations lorsque l’étranger est encore sur notre sol ; n’importe, il faut des banquets et des discours. Si l’on n’a pas l’éclat des réunions publiques, on aura les réunions privées où l’on prodiguera l’éloquence. L’un de ces orateurs déclarera modestement à ses auditeurs ébahis que lui et ses amis sont la gloire, la tradition éblouissante de la France, « la voie lactée des intelligences généreuses. » M. Victor Hugo, qui ne manque pas ces occasions même quand il est absent, a envoyé son toast, « sa pensée, » dans une lettre où il parle de Cambyse, de Nemrod, de Voltaire, de Danton, d’Attila, du Spielberg, de Spandau. Savez-vous quel est le moyen de M. Victor Hugo pour combattre les armées des tyrans couronnés qui, selon lui, peuvent menacer la France ? Ce moyen est aussi simple qu’infaillible, il consiste dans trois idées, dans trois dates, le H juillet, le août, le 22 septembre, qui sont « de taille à colleter tous les monstres, » qui se résument en un mot : révolution ! « La révolution, c’est le grand dompteur, et, si la monarchie a les lions et les tigres, nous avons, nous, le belluaire. » Après cela, il ne reste qu’à boire à la république « qui fera frères tous les peuples. » Et c’est ainsi pourtant qu’on parle à un pays qui sort à peine des plus effroyables crises, qui sent de toutes parts ses blessures, qui ne demande qu’à se relever par le travail, par la raison, par la droiture rajeunissante du cœur et de l’esprit ; mais, à vrai dire, ce n’est point à Paris que la campagne révolutionnaire apparaît dans tout son éclat, c’est M. Gambetta qui porte avec lui le radicalisme en voyage.

M. Gambetta est pour le moment en représentations dans la province. Il a commencé son voyage par Saint-Etienne ; il y a quelques jours à peine, il était en Savoie, dans cette honnête Savoie que personne ne