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Ce que le général Chanzy avait prévu, ce qu’il avait voulu prévenir, arrivait presque aussitôt. Cette armée, qui la veille encore tenait assez fermement au feu, conduite par des chefs énergiques, s’abandonnait pour ainsi dire elle-même dans sa retraite. La configuration du terrain favorisait la dispersion et le désordre. Le nom seul du Mans exerçait une sorte de fascination sur ces malheureux soldats, qui presque sans souliers, les pieds endoloris par la neige et par la fatigue, retrouvaient des forces, se jetaient dans tous les chemins détournés et doublaient les étapes pour arriver plus vite. Le Mans, selon le mot du général Chanzy lui-même, était pour eux le repos, le bien-être, tout au moins un répit de quelques jours. Des régimens presque entiers se laissaient entraîner sans regarder derrière eux, sans s’inquiéter de ce que devenait le reste de l’armée. Les hommes se déchargeaient de leurs armes et les jetaient pêle-mêle dans les voitures des convois, il y avait jusqu’à des officiers qui abandonnaient leurs troupes sans autorisation. Ce n’était pas sans doute l’histoire de toute l’armée ; il y avait cependant assez de débandés et de fuyards pour que des régimens de gendarmerie, envoyés sur tous les chemins, ne pussent arrêter ce torrent désordonné qui s’en allait vers Le Mans. Ces quatre jours de retraite étaient assurément la plus cruelle épreuve au lendemain d’une série de combats qui n’avaient pas été sans gloire. Pendant quatre jours, le général Chanzy s’efforçait de disputer ses divisions à la panique, de lutter contre la désorganisation qu’il avait sous les yeux. Ce n’est que le 20 décembre que l’armée arrivait enfin sur la Sarthe, échappant à la tyrannie de sa propre démoralisation au moins autant qu’à la poursuite de l’ennemi.

Quant aux Allemands en effet, ils s’étaient arrêtés après les premières démonstrations ; ils avaient grand besoin eux-mêmes de reprendre haleine, de reconstituer leurs forces, de coordonner leur situation avant de s’engager plus profondément dans l’ouest, et par le fait il y avait entre les deux armées une sorte de trêve de quelques jours, durant laquelle on allait de part et d’autre se préparer à des luttes nouvelles.


III

On était au 20 décembre. Au moment où les soldats de la Loire et de Vendôme arrivaient ainsi au Mans, les uns encore en bon ordre et allant prendre leurs positions, les autres formant une masse incohérente répandue dans la ville, il n’y avait point certes à s’y méprendre, c’était une armée à reconstituer entièrement, et le général Chanzy était le premier à savoir ce qu’il avait à faire. Dès son