Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 101.djvu/781

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lesquelles on ne pouvait agir que de la manière la plus décousue et la plus stérile ; il les décourageait ou il les neutralisait fort légèrement, quelquefois avec une sorte de puérilité ridicule, témoin ce bizarre incident de la mission du capitaine de Boisdeffre. À ce moment même, le général Trochu, qui de son côté tenait, lui aussi, à s’entendre directement avec les chefs militaires de province, envoyait un de ses aides-de-camp, M. de Boisdeffre, en mission auprès du général Chanzy, et il lui remettait six pigeons, au moyen desquels le commandant de la deuxième armée pourrait entrer en rapport avec le gouverneur de Paris. Le capitaine de Boisdeffre, parti en ballon le matin du 22 décembre, tombait le même jour à Beaufort, dans le département de Maine-et-Loire, et aussitôt le préfet, sous la forme d’une réquisition officielle, s’emparait des pigeons qu’il portait avec lui. Comment un préfet se croyait-il autorisé à violer un dépôt confié à un officier par le chef du gouvernement ? Quel intérêt pouvait-il y avoir au-dessus de l’intérêt de la défense ? Ce n’est pas tout, le général Chanzy se plaignait naturellement, il demandait qu’on lui rendît au moins quatre pigeons, et on lui répondait de la façon la plus étrange, par toute une théorie sur les difficultés de l’envoi des pigeons, par des explications embarrassées dont le dernier mot était qu’il devait commencer par envoyer ses dépêches à Bordeaux. Il n’y avait plus à insister sur les pigeons faits prisonniers par le préfet de Maine-et-Loire !

Cependant le général Chanzy ne pouvait s’en tenir là, surtout en présence des communications que lui apportait le capitaine de Boisdeffre, et qui dépeignaient la situation de Paris dans sa gravité croissante. Le général Trochu, parlant à un compagnon de guerre, ne dissimulait rien. Il n’était nullement injuste pour l’esprit de sacrifice de la population parisienne, pour l’armée, toujours prête à combattre, pour la garde nationale elle-même ; mais il représentait une trouée comme impossible sans le secours des armées de province, et la question des subsistances comme le danger imminent. Le général Trochu fixait, avec une précision qui n’a été que trop justifiée, l’heure où devait expirer la résistance, si bien que le général Chanzy pouvait écrire au gouvernement de Bordeaux : « En mettant en œuvre toutes les ressources, Paris pourra tenir jusqu’à la fin de janvier ; mais à partir du 20 janvier, il faudra traiter, les jours suivans suffisant à peine pour préparer l’approvisionnement de cette population… » Si on voulait définitivement tenter un suprême effort pour secourir Paris, il n’y avait donc plus un instant à perdre ; chaque heure qui s’écoulait était une chance de moins, et le commandant de la deuxième armée, justement préoccupé de ces révélations, n’écoutant que son patriotisme, sa