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précoce, c’est en le mêlant à la société de ses semblables, en le plongeant en pleine réalité humaine. Du reste, il entend que le jeune homme y arrive avec un esprit capable d’en profiter, et, sans exclure, tant s’en faut, les connaissances d’utilité directe, ce sont de préférence les lettres et les études antiques qui lui fournissent l’incomparable gymnastique, qu’au fond rien ne remplace. Enfin nous commençons seulement à nous apercevoir de tout ce qu’il y a de nécessairement malsain pour le corps et pour l’âme dans le régime imposé à notre jeunesse jusque dans ces derniers temps. Je ne sais quel mépris ascétique du corps et de son développement vigoureux a présidé à toute l’organisation de l’instruction publique. Cette négligence est d’autant plus regrettable que le progrès du bien-être dans les familles, progrès très heureux considéré en lui-même, conduirait pourtant notre jeunesse à l’amollissement, s’il n’était contre-balancé par des exercices virils dont l’influence moralisante sur l’adolescence est bien plus grande qu’on ne pense. C’est à bien des points de vue que nous avons applaudi à l’introduction récente des exercices militaires dans nos lycées[1].

Le docteur Arnstaedt rend le plus sincère hommage aux vues profondes de Rabelais en matière d’éducation. Il le suit de près, compare ses idées avec celles de Montaigne, de Locke, de Rousseau, il relève avec insistance les heureux résultats de la méthode rabelaisienne au point de vue de l’indépendance de la pensée, de la sûreté du jugement et de l’application pratique. Le goût prononcé de Rabelais pour l’épanouissement de la vie dans toutes ses directions l’a donc heureusement inspiré. L’auteur allemand aurait pu dire, et nous dirons pour lui, qu’à bien des égards l’Allemagne nous a devancés dans l’introduction des réformes pédagogiques, et en particulier dans une judicieuse combinaison de la gymnastique intellectuelle et corporelle. Hélas ! combien de fois notre pauvre France a-t-elle eu le mérite de découvrir, de proclamer la vérité, puis le tort d’en laisser aux autres nations l’usage utile ! à y a dans notre caractère national tout à la fois une grande audace et une timidité extrême. Tant qu’il ne s’agit que de réformes théoriques, nous sommes tout de feu, nous ne reculons devant rien. Vienne l’heure de l’application, la moindre difficulté nous arrête, nous voyons surgir toute sorte d’objections auxquelles nous n’avions pas songé, et nous restons dans l’ornière.

Pourquoi cela ? Rabelais peut-être nous fournirait la réponse : nous

  1. Au moment où nous écrivions ces lignes, nous ne pouvions prévoir que, si peu de temps après, les vues qu’elles énoncent sommairement allaient recevoir la plus éclatante confirmation par la réforme universitaire si heureusement inaugurée par M. Jules Simon.