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jours renaissantes contre l’autorité romaine[1], Les coutumes et les cultes indigènes disparaissaient rapidement dès que le sol d’une province avait été colonisé et couvert de places fortes : les dieux gaulois qui persistaient devaient prendre des noms latins comme Jupiter Axur et adopter les rites de la religion des vainqueurs; mais la conquête était loin d’être achevée dans toute cette partie des Gaules, qui offrait aux révoltés des retraites presque inaccessibles. Toute révolution politique à Rome ou dans les provinces avait là son contre-coup. On ne sait presque rien de cette campagne, qui se termina rapidement par une victoire remportée sur les bords de l’Aude, et pour laquelle Messala obtint le triomphe quatre ans plus tard, en 727[2]. C’est à cet événement, auquel un client de Messala ne pouvait rester indifférent, au moins en apparence, que nous devons la septième élégie du premier livre. Le poète revendique sa part d’honneur dans les hauts faits qui ont été accomplis :

Non sine mest tibi partus honos,


et il prend à témoin les tribus de l’Aquitaine, au pied des Pyrénées, les rivages de l’Océan qui baigne les côtes de Saintonge, la Saône, le Rhône rapide, la vaste Garonne, et la Loire, dont les flots bleus arrosent le pays des blonds Carnutes. Il paraît probable qu’après la soumission des montagnards, Messala parcourut avec Tibulle toute l’Aquitaine, qui s’étendait alors des Pyrénées à la Loire, pour pacifier toutes les tribus et recevoir leur soumission.

Tibulle ne revint pas immédiatement à Rome; il s’embarqua avec Messala pour l’Orient : il fallait achever de soumettre à la domination d’Octave l’Asie-Mineure, l’Égypte et la Syrie; mais à Corcyre il tomba malade, et ne put suivre l’armée plus loin. C’est là, au milieu des flots de la mer Ionienne, que Tibulle dit adieu à Messala, et pensa mourir loin de tout ce qu’il aimait sur la terre. « O mort, noire mort, je t’en supplie, retiens tes mains avides ! Je n’ai point de mère ici pour recueillir dans son sein mes ossemens brûlés, point de sœur pour verser sur ma cendre des parfums de Syrie, pour pleurer, les cheveux épars, devant mon tombeau. » Puis il songe à Délia. Avant son départ, elle avait consulté tous les dieux. En vain les sorciers du Cirque, les oracles ambulans du Forum, les devins de carrefour, toute la tribu nomade des Chaldéens et des Égyptiens, lui assuraient qu’elle reverrait Tibulle. Elle pleurait, la pauvre Délia, et maudissait ces courses lointaines. Tibulle la consolait; il s’évertuait d’ailleurs à trouver mille prétextes pour retarder l’heure fatale : le vol des oiseaux, quelque sinistre présage, le jour

  1. E. Herzog, Galliœ narbonensis prov. rom. historia (Lips., 1864), p. 232.
  2. Fast. Capit.; App., B. C, IV, 38; Liv. CXXXV, 4; Tibul., I, VII; II, t, 33, V, 117; IV, I.