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manence de l’assemblée, que les discours de M. Gambetta avaient « plus fait rétrograder la république qu’elle ne pourrait rétrograder par la main de tous ses ennemis. » Voilà le résultat aussi évident que la lumière, et rien en vérité n’est plus simple. Le radicalisme a beau se déguiser, faire le diplomate, flatter M. Thiers quand il s’y croit intéressé, protester de son respect pour la loi, et même se donner, comme il le fait plaisamment quelquefois, pour le vrai défenseur de l’ordre, il ne peut jouer longtemps cette comédie ; il porte en lui une sorte de violence innée, il vit d’agitations, de surexcitations, de tout ce qui effraie, de tout ce qui fait reculer une société régulière, qui a ses intérêts, ses habitudes, ses traditions, et qui a besoin de paix, de tranquillité, de sécurité dans le travail. Il s’ensuit que, lorsqu’il se montre, ne fût-ce qu’un instant, dans ses vrais instincts, dans sa nature essentielle, il épouvante le pays au lieu de le gagner à sa cause. Son concours est plus funeste à un régime, à un gouvernement, que son hostilité. Oui, assurément le coup le plus terrible qui ait été porté à la république depuis un an, c’est le discours que M. Gambetta a prononcé à Grenoble comme le résumé de la campagne qu’il poursuivait, parce que ce discours est le programme de toutes les passions, de toutes les prétentions exclusives du radicalisme, parce que ce n’est qu’une exhibition jacobine tombant au milieu d’une société en possession régulière de ce qu’il y a eu de légitime dans la révolution par laquelle elle s’est transformée. M. Gambetta semble ne pas soupçonner qu’à l’heure oi^i nous vivons, si la république n’est pas le gouvernement de tout le monde sans distinction de classe ou de date dans les opinions, s’il y a des républicains de privilège et des républicains convertis de la « onzième heure, » qu’on s’arroge le droit de tenir à distance, s’il y a des citoyens dont on peut dire qu’on les traitera comme des « pénitens, » en les laissant « à la porte de l’église, » si la république est soumise à ces restrictions et à ces tyrannies, elle n’est plus qu’une faction, une usurpation de parti. M. Gambetta ne voit pas qu’à force de rétrécir le terrain sur lequel il fonde sa république, à force d’exclure, c’est la majorité, c’est le pays qu’il met hors de son église, et le pays après tout n’est pas d’humeur à subir la domination des incapables et des brouillons qui n’auraient d’autre titre que de se dire les représentans privilégiés de la république.

M. Gambetta a cru fort habile de faire appel à ce qu’il désigne sous le nom de « nouvelle couche sociale, » à cette génération qui est entrée dans les affaires depuis deux ans, qui remplit aujourd’hui les conseils locaux. Hélas ! on ne demanderait pas mieux que de voir cette génération nouvelle attester son existence par la capacité, par le zèle, par le patriotisme. Malheureusement la « nouvelle couche sociale » n’est pas aussi féconde qu’on le dit. Sans doute, depuis deux ans, il y a eu une certaine invasion de radicaux dans les conseils des départemens et dans