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inébranlable ; mais un principe, si respectable qu’il soit, si profonde que soit la conviction de ceux qui le révèrent, un principe tout nu n’est pas une puissance politise. Il ne suffit pas de l’invoquer ; il faut avoir les moyens de le faire prévaloir. On ne fonde pas un gouvernement avec une idée seule ; on ne bâtit pas des institutions sur une abstraction morale, il faut les appuyer sur la force ou sur l’assentiment de la volonté nationale. Quant à la force, il n’en est pas question, et personne, il faut l’espérer, ne songe à s’en servir pour contraindre l’opinion de la France. C’est donc à la volonté nationale qu’on doit aujourd’hui s’adresser. Le seul moyen de refaire l’ancienne royauté est de se réconcilier avec l’opinion publique, au lieu de la braver maladroitement tous les jours avec une intrépidité qui ressemble à de la folie ; c’est de faire de la politique sensée, positive et vraiment nationale, au lieu de se livrer à des divagations mythologiques qui exaspèrent le pays, quand elles ne le font pas rire. C’est trop demander aux légitimistes. Laissons-les donc à leurs illusions ; prenons en patience les lamentations et les injures dont ils poursuivent le gouvernement de ; la république ; honorons-les personnellement, mais ne les prenons pas trop au sérieux comme parti. L’acharnement de leurs derniers manifestes vient du sentiment secret qu’ils ont de leur faiblesse. S’ils doivent pousser jusqu’au bout la dernière levée de boucliers qu’ils annoncent, assistons-y sans nous émouvoir. Laissons-les expirer de leur belle mort, et ne nous offusquons pas des gros mots qui peuvent se mêler au chant du cygne.

A côté des paladins de la légitimité, il y a un groupe d’hommes habiles et vraiment politiques qui, tout en poursuivant la restauration de l’ancienne royauté, n’ont pas la prétention de la rétablir à eux tout seuls, ni même de se la réserver pour eux seuls. Ceux-là se tournent vers le parti orléaniste et sollicitent son alliance en lui proposant de faire part à deux. Comme la doctrine orléaniste est celle de la monarchie parlementaire, ils lui promettent de lui rendre son régime préféré, à la condition qu’on reconnaisse le principe de la royauté légitime. Ils se montreraient même assez volontiers coulans sur le principe, pourvu qu’on leur accordât le fait, c’est-à-dire la fusion des deux branches. Ces légitimistes parlementaires affectent d’ailleurs de ne faire passer la royauté qu’en seconde ligne ; ce qu’ils demandent aux conservateurs, ce qu’ils les adjurent de faire, c’est de se joindre à eux pour repousser le flot montant de la démocratie. C’est, comme on vient de le voir, avec l’assistance des classes moyennes et des bourgeois de 1830 que le parti détrôné en 1830 espère maintenant refouler la démocratie et terrassera république.