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le service des blessés et de lui annoncer que l’armée avait pris la cocarde blanche. « Il faut avouer, messieurs les Français, que vous changez souvent de cocardes ! dit Thielmann, qui, après avoir longtemps servi dans nos rangs, était devenu notre ennemi. — C’est possible, général, riposta M. de Trobriand, mais en tout cas il vaut mieux changer de cocarde que changer de patrie. » Dévoué au maréchal Davout jusqu’à sa dernière heure, — il passa huit jours au chevet de son lit de mort sans se débotter, — il avait gardé pour sa mémoire un respect toujours vivant. Tout lui en était resté cher, même les brusqueries, les réprimandes et les punitions, et en homme bien né qu’il était, il aimait à citer certaine leçon de respect hiérarchique et de politesse militaire qu’il en avait reçue dans les première jours qu’il servait sous ses ordres. Ayant eu à écrire un rapport sur une mission dont il avait été chargé, moitié par inexpérience juvénile, moitié par idolâtrie pour son illustre chef, il mit familièrement en tête : Mon cher maréchal. Cette familiarité était cependant fort excusable, d’abord parce que toute idolâtrie entraîne nécessairement une sorte de familiarité, ensuite parce qu’avant de servir sous les ordres du maréchal Davout M. de Trobriand avait servi sous ceux de son beau-frère, le général Leclerc, premier mari de Pauline Bonaparte, et que cette circonstance pouvait lui faire croire qu’une partie de la distance qui sépare un maréchal de France d’un simple officier était effacée. Davout sentit à merveille cette double excuse, et donna à sa leçon de respect militaire la charmante tournure que voici. Au lieu de rappeler brusquement son aide-de-camp au respect des convenances, il lui fit compliment sur la manière dont il avait exécuté ses ordres ; puis, au moment de le congédier, il lui dit gracieusement : « Vous êtes jeune et tout nouveau dans mon corps d’armée, mon cher Trobriand ; je dois vous donner quelques conseils, qui vous seront utiles ici et même dans le monde. Ainsi, quand vous aurez par hasard un rapport à faire ou une lettre à écrire à un général, à un colonel, à un chef d’escadron, vous direz : monsieur le général, monsieur le colonel, mon commandant ; à un lieutenant, mon cher camarade ; et à moi enfin, mon cher Trobriand, vous direz comme vous voudrez. » Il est aisé de comprendre que, bien loin d’être affaibli par cette leçon d’une si cordiale affabilité, le culte du jeune aide-de-camp n’en devint que plus ardent.

Le fait d’armes le plus extraordinaire du maréchal Davout est peut-être la journée d’Auerstœdt, où il lui fallut venir à bout de 70,000 Prussiens avec 14,000 Français. Aussi cette bataille était-elle le souvenir favori du général de Trobriand. Sur les préliminaires de cette bataille, sur les incidens qui la signalèrent ou qui en furent la suite, entre autres sur l’inaction de Bernadotte, prince