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reprendre le dessus. En attendant ce changement de scène, qui doit, dit-on, porter le coup de grâce à la république conservatrice, et faire cesser le scandaleux mensonge de cette bizarre interversion des rôles entre les conservateurs et les révolutionnaires, il faut bien que le gouvernement vive ; à moins que les royalistes ne soient tout prêts à occuper sa place, il y a intérêt pour le pays à ce que son autorité se soutienne. Qu’on soit donc indulgent pour son apostasie, et qu’on lui pardonne ce grand crime de se laisser appuyer par ceux qui le défendent contre ceux qui le combattent.

Mais, puisque la modération des radicaux tire à sa fin, qu’attendent donc les conservateurs de la droite pour se rallier au gouvernement ? Puisque l’ordre légal et les intérêts conservateurs sont leur unique souci, et que ces intérêts sont gravement compromis, que n’accourent-ils à leur défense, pour s’en approprier tout l’honneur ? Pourquoi, au lieu d’imiter l’intempérance de leurs adversaires, ne viennent-ils pas dès aujourd’hui se ranger autour de la société menacée ? Ce serait plus utile que de crier dans leurs journaux contre la république conservatrice, et de prédire le prochain triomphe de la république radicale. Quelle raison peuvent-ils avoir d’alarmer l’opinion publique, d’affaiblir un gouvernement qui est encore leur seule sauvegarde contre le radicalisme ? Il serait plus sage, plus habile d’entrer loyalement dans la république, de la conquérir à leurs idées. C’est leur droit, comme le nôtre à tous, et les radicaux ne peuvent pas plus leur en interdire l’usage qu’ils ne peuvent eux-mêmes contester aux radicaux le droit de les combattre. Pourquoi, quand on peut se défendre en plein jour et prendre le monde a témoin de sa vertu, préférer la guerre des subterfuges, des embuscades et des aventures ?

Non, ce n’est pas la république conservatrice qui repoussera jamais le concours de ces ouvriers de la douzième heure, et qui suspectera gratuitement leur sincérité ! Qu’ils viennent à nous sans faire de réserves mentales, sans se ménager des portes de sortie, et ils seront des nôtres. Sans doute, une telle adhésion ne doit pas être une simple ruse de guerre ; nous ne voulons pas mettre la république au service de la démagogie, mais nous ne voulons pas non plus qu’elle soit un déguisement pour une réaction monarchique. Nous n’entendons pas plus opprimer le parti républicain sous le couvert de la république que ruiner le parti conservateur en usurpant son nom. Il s’agit seulement de donner à notre pays des institutions libres et des institutions qui durent plus longtemps que nos monarchies modernes. Pour nous du reste, la république, étant la chose de tous, ne saurait être l’œuvre d’un seul parti. Si la monarchie ne peut contenir que des monarchistes, si la république