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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 102.djvu/321

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FRINKO BALABAN.

quai-je d’une voix éclatante ; nous restons fidèles à Dieu et à l’empereur. — Je n’avais pas fini que déjà les Polonais tirèrent sur nous ; je reçus plusieurs grains de plomb dans le corps, un paysan eut une balle dans le pied. — Hardi ! criai-je, hardi, camarades ! en avant ! — Nous courons sus aux Polonais, nous les arrachons de leurs traîneaux et les faisons tous prisonniers ; un seul d’entre eux, qui voulut résister, reçut de moi un coup sur la tête, il n’y eut pas d’autres blessés. On entendait aussi une fusillade du côté de l’auberge. J’y courus en toute hâte, mais, lorsque j’arrivai, tout était déjà terminé. Un noble, du nom de Bobroski, gisait dans la neige ensanglanté ; notre seigneur était debout au milieu des paysans, qui tapaient sur lui à bras raccourcis : sans moi, ils l’auraient assommé, le sang lui coulait déjà par la figure. Je le sauvai.

— Vous ?

— Moi, monsieur. J’avoue que je regrettais que les paysans ne l’eussent pas tué ; mais, une fois là, je ne pouvais pas le permettre. Les Polonais auraient dit que c’était une vengeance ; c’eût été une vilaine tache pour notre cause. On se contenta de lui lier les pieds et les mains comme aux autres, puis on les jeta dans leurs traîneaux, et on transporta toute la noble racaille au bailliage de Kolomea, où je délivrai une vingtaine de prisonniers, ainsi que leur argent, leurs montres et leurs bijoux… Ah ! monsieur, quels souvenirs ! La guerre du pauvre contre ses oppresseurs, mais partout l’ordre et la discipline ; nous gardions tous les carrefours ; au bailliage, on voyait entrer des paysans en sarrau troué, qui tiraient de leur poche des billets de mille et les déposaient fidèlement. On essuyait les coups de feu et on se bornait à désarmer les seigneurs. Chacun de nous eût volontiers donné son sang, chacun croyait qu’à l’avenir il n’y aurait plus de distinctions, que tous les hommes allaient être égaux !.. Puis, dans l’ouest, les paysans polonais commencèrent d’assassiner, et il vint beaucoup de troupes dans le pays ; tout tourna autrement que nous ne l’avions pensé. Deux ans plus tard cependant la servitude a été abolie, et à cette heure le paysan est un homme libre.

— Et votre seigneur, qu’est-il devenu ? demandai-je.

— Il fut enfermé dans une forteresse, répondit Kolanko ; sa femme se consola pendant son absence avec un voisin, puis en 1848 il fut relâché avec les autres rebelles polonais.

— C’est vers ce temps que je pris ma seconde capitulation[1], dit Balaban. Je fis la guerre de Hongrie ; au cœur de l’hiver, nous passâmes les monts Krapacks ; on se battit à Kaschau, à Tarczal ;

  1. Que je repris du service après avoir fait deux congés.