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leurs dehors. Restait à en utiliser le contenu, les conditions d’achat une fois réglées, et à proposer environ 80,000 pièces à l’étude sans encourir le reproche d’un double emploi avec celles que le cabinet des estampes possédait déjà.

Un pareil reproche eût en réalité porté à faux, le caractère des pièces composant la collection de Béringhen n’ayant en général aucune analogie avec le genre d’intérêt qu’offre la collection de l’abbé de Marolles. Il semble même que le successeur de celui-ci, en se hasardant à son tour dans la carrière de curieux, ait eu à cœur d’éviter tout ce qui aurait pu servir de prétexte à une comparaison entre l’entreprise de l’abbé de Marolles et la sienne, et laisser soupçonner chez lui une arrière-pensée de rivalité. Rien de plus naturel d’ailleurs que cette diversité des résultats. Elle s’explique de reste, en dehors de tout parti-pris systématique, par la différence même des milieux où vécurent les deux iconophiles et par les inclinations propres à chacun d’eux.

Le premier écuyer du roi, ou, comme on disait par abréviation, « M. le premier, » n’avait ni les goûts ni les coutumes d’un érudit de profession. Saint-Simon, qui raconte tout au long sa querelle avec « M. le grand, » au sujet de la dépouille de la petite écurie et le procès qui s’ensuivit devant le conseil de régence, par le de lui comme d’un homme « aimé, estimé, considéré de tout temps et ayant beaucoup d’amis ; » mais il ne donne nulle part à entendre qu’il cherchât dans l’étude du passé autre chose que des argumens favorables aux privilèges de sa charge et au succès de ses affaires présentes. Aussi Béringhen, en rassemblant des estampes à ses momens de loisir, ne songeait-il guère à faire acte d’archéologue. Il se préoccupait uniquement des jouissances que pouvait lui procurer l’art de son temps, soit qu’il satisfît en lui la curiosité du dilettante, soit que, par l’exacte représentation des personnages ou des choses, il alimentât ou ravivât les souvenirs de l’homme de cour. De là tant d’images des princes, des prélats, des grands seigneurs ou des gentilshommes français au XVIIe siècle, tant d’estampes sur des sujets de mœurs ou d’histoire recueillies à mesure qu’elles sortaient des ateliers des artistes, et pour ainsi dire à l’heure même où ceux-ci venaient de les achever ; de là aussi l’incomparable beauté des épreuves et l’éclat avec lequel tous les grands talens de l’époque sont représentés, depuis leurs débuts jusqu’à leurs derniers efforts, dans cette collection formée par un homme qui ne marchandait pas plus sur la quantité des objets dignes d’être acquis que sur le prix dont il fallait les payer.

Sauf un certain nombre d’estampes appartenant aux écoles étrangères et au XVIe siècle, on peut dire que les pièces provenant du cabinet de Béringhen résument tous les travaux, tous les progrès