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enregistrer que des emplettes sans conséquence, ou les cadeaux plus modestes encore que quelque employé ou fonctionnaire lui faisait de loin en loin.

Hélas ! il faut bien ajouter que tout le mal pour le cabinet, des estampes ne venait pas de ce temps d’arrêt dans les libéralités du dehors. Ce qui se passait à l’intérieur compromettait plus gravement le présent et l’avenir, puisqu’ici le déficit portait sur les biens acquis, sur les collections déjà formées, et que l’appauvrissement. du cabinet était l’œuvre frauduleuse de celui-là même qui avait le devoir d’en conserver et d’en augmenter les richesses.

L’homme coupable de cette indignité se nommait Claude de Chancey. Prêtre du diocèse de Lyon et prieur de Sainte-Madeleine, il avait été nommé en 1731 garde des planches gravées et estampes, nous ignorons en récompense de quels services ou en vertu de quelles recommandations. Ce que nous savons seulement, c’est que quatre ans plus tard, le 2 juin 1735, on l’enfermait à la Bastille, sous l’accusation « d’avoir diverti quantité de planches et d’estampes, » et de les avoir « vendues à vil prix à différens particuliers en France et à l’étranger, » qu’au mois d’août suivant une décision souveraine convertissait cette détention préventive en un emprisonnement. définitif, — qu’enfin le 13 novembre 1736 le prisonnier sortait de la Bastille, non pour recouvrer la liberté, mais pour être transféré aux Petites-Maisons.

Le choix d’un pareil lieu de réclusion n’explique-t-il pas jusqu’à un certain point les méfaits commis, et ne semble-t-il pas en caractériser le mobile ? Peut-être cet abbé de Chancey n’avait-il été un voleur que parce qu’il était en réalité un fou. L’effronterie même avec laquelle il trafiquait presque publiquement du dépôt confié à ses mains permettrait de supposer qu’il n’avait pas plus conscience du châtiment qui pouvait l’atteindre que de sa propre déloyauté. Quoi qu’il en soit, et pour en finir avec ce triste épisode d’une histoire où nous n’aurons plus, Dieu merci, aucun souvenir de même sorte à consigner, on répara le mieux qu’on put les pertes subies, soit en saisissant les objets volés chez ceux qui s’en étaient faits les receleurs, soit en remplaçant par des acquisitions nouvelles les estampes isolées ou les recueils qu’on n’avait pas réussi à retrouver. Sauf un certain nombre de cuivres provenant originairement de la succession de Callot et vendus par l’abbé de Chancey en Angleterre, d’où ils passèrent, vers la fin du XVIIIe siècle, dans les mains de divers marchands du continent qui les firent grossièrement retoucher, — sauf aussi quelques eaux-fortes hollandaises, — la plupart des planches gravées ou estampes si impudemment dérobées ne tardèrent pas à être réintégrées dans les collections de la Bibliothèque. Quant à la place devenue vacante par la révocation de l’abbé de