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pour maintenir un reste d’ordre à mesure que la tyrannie, ou la sottise démagogique tend à bouleverser chaque service, à le désorganiser de plus en plus.

Il va sans dire que le département des estampes et le digne chef qui le dirigeait depuis près d’un demi-siècle ne pouvaient échapper ni aux agitations, ni aux périls survenus à cette époque dans les autres départemens et pour les autres fonctionnaires de la Bibliothèque. Naturellement désigné aux défiances du nouveau pouvoir par l’indépendance de son caractère comme par ses liaisons avec plusieurs personnages de l’ancienne cour, Joly avait été frappé l’un des premiers, et il n’eût pas même été besoin pour cela qu’un ingrat et un lâche attaché depuis quelque temps, grâce à lui, au cabinet des estampes, qu’un employé nommé Tobiezen-Duby prît la peine de le dénoncer. Ses antécédens bien connus suffisaient ; mais le délateur avait ses raisons pour travailler à précipiter les choses. En provoquant dès le mois de septembre 1792, par une lettre adressée à Mme Roland, la destitution de Joly « comme un juste châtiment de son aristocratie, » il n’entendait pas, une fois le coupable puni, se contenter de cette satisfaction stérile. Il fallait pour achever la justice que la place devenue vacante lui fût donnée, à lui, et non à un autre. « Vertueuse citoyenne, écrivait-il, cette place m’appartient de droit. Je suis orphelin,… je suis marié ; mais je n’ai pour tout bien que 300 livres de rente et mon emploi de 800 livres. Mon père a été interprète à la Bibliothèque nationale… et je suis le continuateur et l’éditeur de plusieurs ouvrages nationaux qu’il a laissés… Enfin je suis patriote avant le 10 août, Brissot le sait. Citoyenne, avec ces titres, mériterais-je le passe-droit dont je suis menacé ? »

Il ne paraît pas que la valeur de ces titres ait été jugée, par la femme du ministre de l’intérieur ou par ses amis, aussi rare que l’aurait voulu faire croire celui qui les présentait. D’ailleurs le plus considérable des ouvrages « nationaux » dus à la plume de Tobiezen-Duby le père et aux soins de son fils n’était autre qu’un livre publié deux ans auparavant par le solliciteur lui-même sur les monnaies des barons et des prélats de France. Peut-être n’y avait-il pas là de quoi démontrer très clairement le républicanisme prématuré d’un patriote qui se vantait d’avoir fait ses preuves au temps de la royauté. Quoi qu’il en soit, ce triste intrigant n’obtint que la moitié du succès qu’il s’était promis. Il réussit bien à faire expulser Joly, il eut la consolation encore de voir le fils de cet « aristocrate » perdre, en sa qualité de complice des crimes reprochés à son père, la place d’adjoint à la garde du cabinet des estampes qu’il occupait depuis plusieurs années et même aller grossir le nombre des