que cette crise profiterait à leur cause ? S’ils le croient, ils n’ont qu’à relire cette éloquente et saisissante partie du message où M. Thiers décrit les oscillations d’une société malade qui a fait déjà plus d’une fois le « triste et humiliant voyage du despotisme à l’anarchie, de l’anarchie au despotisme, » et qui le recommencera cent fois encore, s’il le faut. Sur cette route, il n’y a point d’étape pour la monarchie traditionnelle, ni même pour la monarchie constitutionnelle, il n’y en a que pour le radicalisme et pour la dictature césarienne, qui est son héritière infaillible. Le pays ne s’y trompe pas, et voilà pourquoi il recevra sans doute le dernier message comme l’expression de ses propres instincts, de ses propres pensées. Le pays fait comme M. Thiers ; il ne cherche pas comment la république est venue au monde, il voit qu’elle existe, qu’avec ce régime l’ordre a pu être efficacement défendu : les ateliers se sont rouverts, le travail a repris son activité, les capitaux sont accourus pour préparer notre libération, et le pays se dit alors comme M. Thiers que la république a l’avantage d’exister, que ce qu’il y a de mieux à faire, c’est de travailler sincèrement à la régulariser et à l’organiser.
La seconde idée dominante du message, c’est que la république n’existera, ne se soutiendra qu’à la condition d’être conservatrice. M. Thiers le dit avec la netteté la plus décisive : « la république sera conservatrice, ou elle ne sera pas. » On peut disputer tant qu’on voudra sur cette épithète, on sent parfaitement ce qu’elle signifie ; on sait très bien que cela veut dire tout simplement une république où il y aura un gouvernement de bon sens et de droiture, offrant toutes les garanties, protégeant tous les intérêts, sauvegardant tous les droits, respectant les croyances et les traditions, maintenant énergiquement l’ordre public, parce qu’enfin, selon le mot de M. Thiers, « la France ne peut pas vivre dans de continuelles alarmes. » C’est dire aussi clairement que possible aux révolutionnaires et aux agitateurs qu’ils sont les premiers ennemis de la république, et qu’ils en seraient les maîtres les plus compromettans, s’ils étaient au pouvoir. Les radicaux, à qui s’adresse ce compliment, se plaignent fort souvent qu’on les méconnaisse, qu’on les combatte sans dire ce que c’est que le radicalisme ; mais le savent-ils bien eux-mêmes ? On a pu lire tous ces programmes de M. Louis Blanc et de tant d’autres, on n’en est pas plus avancé. De deux choses l’une : ou bien le radicalisme se réduit à l’étude, à une solution graduelle des questions qui s’agitent dans une société démocratique, c’est-à-dire à ce que tout le monde peut admettre plus ou moins, et alors on ne voit pas trop la raison de ce rôle spécial, unique et privilégié que se donnent les radicaux, — ou bien le radicalisme, comme on le voit souvent, est la révolution en permanence, l’agitation érigée en système, et c’est par là justement qu’il est redouté. Il a beau faire, l’ordre est son ennemi particulier. Le pays a besoin de calme, ne fût-ce que pour ne pas com-