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représentaient la dernière descendante du plus grand homme de mer qui jadis ait combattu contre nous, au temps de Louis XIV, l’amiral Ruyter.

Quand les arbres auront poussé dans les jardins et dans les cours de Sainte-Anne, ce sera un asile remarquable ; mais il lui manque encore ces beaux massifs de robiniers, de tilleuls et de marronniers qu’on trouve dans les vieilles maladreries de Bicêtre, de la Salpêtrière et qui leur font d’admirables préaux. Tout a été combiné pour mettre les services en rapport les uns avec les autres, et des galeries couvertes établissent des communications abritées entre toutes les parties de la maison ; on peut reprocher à la lingerie d’être située au second étage, au-dessus des cuisines et d’une salle de réunion générale, ce qui est fort gênant pour la distribution du linge ; mais c’est là un inconvénient minime et compensé par de tels avantages qu’il serait bien puéril de s’y appesantir. Quelques pierres plus blanches, quelques tuiles plus fraîches indiquent que l’on a déjà pansé les blessures qui n’ont point été épargnées à cet asile sacré pendant le siège de Paris par les armées allemandes. Sainte-Anne a reçu cent cinq obus. Un fait prouvera à quel point les ennemis étaient exactement renseignés sur ce qui se passait chez nous. Les quartiers du Petit-Montrouge, de la Glacière, de la Maison-Blanche, de l’Observatoire, étaient sous le feu de quatre batteries établies entre Bagneux et L’Hay ; l’objectif de celles-ci fut la prison de la Santé, car les détenus, s’échappant à la faveur d’un incendie et se jetant, dans Paris, pouvaient amener une complication redoutable. C’était bien raisonné, et c’est ainsi qu’on se fait la guerre entre gens civilisés. On dut alors diriger sur Mazas et sur la Conciergerie les détenus de la Santé, où à leur place on mit 950 prisonniers allemands. Le jour même[1] du transfèrement, la Santé cessa d’être en butte aux projectiles ennemis, qui s’adressèrent immédiatement à l’asile Sainte-Anne, dont les pensionnaires, lâchés à travers la ville, n’auraient pas produit un meilleur effet que leurs voisins de la prison ; mais les aliénés n’y étaient pas seuls, car l’asile se doublait d’une ambulance militaire inutilement protégée par le drapeau de la convention de Genève.

Quoi qu’il en soit de ces faits, qui appartiennent à l’éternelle histoire de la folie humaine, l’ancienne ferme, où Ferrus était si heureux d’envoyer travailler ses aliénés, est aujourd’hui un vaste établissement aménagé de façon à contenir facilement 000 malades.

  1. Les dates sont curieuses à rapprocher : dans la nuit du 8 au 9 janvier 1871, la Santé commence à entendre le sifflement des obus ; le 9, quatre projectiles éclatent dans les cours ; 420 détenus pour délits de droit commun sont évacués en hâte sur Mazas. Le 10, les prisonniers allemands sont extraits de la grande Roquette et conduits à la Santé ; une heure après leur entrée, l’objectif des batteries ennemies était changé.