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pas complètement prévalu. La majorité ne lui fera pas défaut tant qu’il aura besoin de se défendre contre les retours offensifs des anciens ennemis de l’union nationale ; mais déjà, comme tous les partis longtemps victorieux et gouvernans, il commence à se désunir. La candidature d’Horace Greeley et son alliance avec les démocrates sont le premier symptôme de ce travail inévitable. Les défectionnaires du parti républicain ont même pris un nouveau nom, ils s’intitulent les libéraux ; ils cherchent à formuler un programme qui, sans s’éloigner beaucoup de celui du parti républicain, se rapproche de celui des démocrates ; ils essaient de reléguer au second plan les questions à peu près résolues pendant les années dernières et de faire passer en première ligne soit des questions nouvelles, soit des questions anciennes et considérées comme secondaires depuis l’époque de la guerre civile. Il n’y a peut-être pas grande différence entre le programme de la convention libérale de Cincinnati, accepté par la convention démocratique de Baltimore, et le programme de la convention républicaine de Philadelphie, accepté par le général Grant. Il n’en est pas moins digne de remarque que, dans cette dernière campagne électorale, c’est un ancien démocrate qui a été le candidat des républicains, tandis que les démocrates prenaient pour chef et, comme on dit en Amérique, pour porte-étendard un des hommes les plus compromis et des écrivains les plus virulens du parti républicain radical. Ce chassé-croisé des républicains et des démocrates est l’indice d’une situation toute nouvelle, d’un changement prochain dans l’assiette et dans l’équilibre des grands partis politiques des États-Unis. Que sera cette transformation, et dans quels cadres se reformeront ces grands partis quand les suites de la guerre civile auront cessé complètement de se faire sentir ? Nous allons essayer de nous en rendre compte en jetant un coup d’œil rapide sur les incidens de la dernière lutte électorale et sur les évolutions de l’opinion publique pendant l’année qui vient de s’écouler.


I

Il serait impossible de comprendre par quelle fantaisie bizarre ou quelle étrange combinaison d’intérêts et de rancunes les démocrates et les radicaux se sont trouvés amenés à faire cause commune dans l’élection dernière, si l’on ne se rappelait les circonstances qui entourèrent, il y a quatre ans, la première candidature du général Grant. C’était au lendemain des longues hostilités entre le président Johnson et le congrès. Le congrès, qui représentait l’opinion républicaine avancée et le parti conservateur de l’union