Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 102.djvu/526

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peut pas reprocher à l’administration du général Grant d’avoir été inactive et incapable ; elle a obtenu d’immenses résultats, qui auraient pu être plus grands, mais qui n’en devraient pas moins satisfaire les ambitions les plus exigeantes.

Il semblait donc qu’après tant de services rendus au pays, ou, si l’on veut, après un tel concours de circonstances heureuses, la réélection du général Grant ne dût rencontrer aucun obstacle, au moins dans le parti républicain. Que les démocrates essayassent de le combattre, ne pouvant l’attirer dans leurs rangs et voulant changer la politique du gouvernement fédéral, c’était fort naturel, et personne ne pouvait en être surpris ; mais que des républicains, assurés avec lui d’un éclatant triomphe, courussent l’aventure d’une candidature nouvelle, avec la chance à peu près certaine d’être battus s’ils n’obtenaient pas le concours des démocrates, et d’être absorbés par ceux-ci dans le cas où ils contracteraient avec eux une trop étroite alliance, c’est ce qu’on ne pourrait s’expliquer, si l’on ne se souvenait des rancunes profondes que les radicaux avaient vouées de longue date au général Grant, et de la colère que devaient éprouver leurs chefs en se voyant écartés du pouvoir par une administration qu’ils avaient élevée de leurs propres mains. Depuis trois ans, ils la combattaient pied à pied, jour à jour, dans les deux assemblées fédérales, surtout dans le sénat ; ils lui faisaient une opposition d’abord sourde, bientôt ouverte, et qui n’avait pas tardé à prendre un caractère agressif et personnel. Au fond, cette querelle était plus personnelle que politique, et les adversaires du président, ne pouvant s’en prendre au parti qui l’avait élu et qui le soutenait toujours, affectaient de le représenter comme un intrus, comme un usurpateur introduit par accident dans les rangs du parti républicain, où les hasards de la popularité l’avaient conduit à la première place, comme un homme politique de contrebande, étranger aux affaires dont la direction lui était confiée et élevé par sa renommée militaire à un poste qu’il était incapable de remplir. En un mot, il y avait une espèce de jalousie de métier entre le président Grant et les principaux ou les plus anciens chefs du parti républicain. Ces hommes d’état expérimentés et vieillis sous le harnais, qui attendaient depuis si longtemps la récompense de leurs grands services et de leurs longs travaux, ne pouvaient se résigner à être supplantés éternellement par un homme nouveau, sorti des rangs mêmes de leurs anciens adversaires, et en même temps trop obstiné pour se laisser diriger à leur guise.

Il se passait d’ailleurs aux États-Unis ce qui arrive souvent chez les nations calmes et prospères, quand les périls ont disparu, et que les ambitions ou les intérêts peuvent se donner carrière sans