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retrouvent chez le Prussien taciturne aucun de ces dons heureux qui séduisent les cœurs et font pardonner toutes les fautes. Rien de plus correct et de plus méthodique que l’organisation militaire de l’armée prussienne, mais le prestige et le charme y manquent à la fois. L’homme n’y brille point, comme dans nos anciennes guerres, par des qualités qui lui appartiennent, qui mettent en relief son courage et sa bonne grâce à braver le péril ; la discipline, en le coulant dans un moule uniforme, le dépouille en quelque sorte de sa personnalité, le réduit à n’être plus qu’une partie de ce tout qu’on appelle une armée, qu’un rouage obéissant de cette puissante machine qui écrase sur son passage tout ce qu’elle rencontre. Jamais la gloire et la grandeur militaire ne se présenteront sous ces formes abstraites aux imaginations françaises. Il faut que l’Allemagne s’y résigne, l’étalage de sa puissance militaire et de l’excellente organisation de son armée ne diminuera pas la bonne opinion que l’Alsace et la Lorraine conservent de la France. Si disciplinés, si exercés que soient les Prussiens, on s’imaginera toujours que le soldat français vaut encore mieux, et qu’il ne lui a manqué pour les vaincre que des chefs plus habiles.

L’Allemagne ne séduira pas davantage les provinces annexées par d’autres mérites qui lui sont propres et lui font plus d’honneur que la science perfectionnée de la guerre. Son principal titre à l’estime est d’offrir le spectacle d’une nation cultivée, en possession d’écoles nombreuses où se distribue à tous les degrés une instruction solide et forte. Tout en reconnaissant ces avantages, l’Alsace et la Lorraine ne peuvent les accepter comme des bienfaits de la main des Allemands : elles n’ont point attendu pour en jouir l’époque de la conquête ; la France les leur assurait avant que l’Allemagne les leur imposât. Nulle part l’enseignement supérieur n’était plus complet ni mieux organisé qu’à Strasbourg ; aucune université allemande n’a compté dans le même espace de temps plus d’hommes de mérite que les facultés alsaciennes. Sous le régime français, un lycée de l’état, un gymnase protestant, un petit séminaire, ne répondaient-ils point à tous les besoins de l’enseignement secondaire ? À Metz, le lycée, le collège des jésuites, la maîtrise, entretenaient parmi les enfans une émulation favorable aux études. Au lieu d’ouvrir à la jeunesse de nouvelles sources d’instruction, le premier effet de la conquête est de tarir les anciennes. Le lycée de Metz, qui comptait autrefois 500 élèves, n’en compte plus qu’une centaine sous le régime prussien ; dans la même ville, la maîtrise, qui essaie de remplacer les jésuites expulsés, ne se soutient que par le désintéressement et les sacrifices de l’évêque. Le lycée de Strasbourg en est réduit au chiffre officiel de 57 pensionnaires. Obtien-