Ce sont ces sommes élevées qui absorbent les revenus de la Porte. Le sultan du reste donne l’exemple. Si la liste civile du chef du gouvernement français était calculée par rapport au revenu général d’après les mêmes proportions que celle du grand-seigneur, elle dépasserait 200 millions. Par contre, les employés inférieurs n’obtiennent pas du trésor la somme strictement nécessaire pour vivre. Telles sont les dépenses de l’aristocratie administrative, entourée d’une nombreuse clientèle, qu’elle doit presque toujours s’endetter pour suffire aux frais qui l’accablent ; ses subordonnés, pour augmenter leur traitement, sont dans l’obligation de recourir au bakchich.
La Porte dépense en Epire pour l’instruction publique 30,000 fr. exclusivement attribués aux écoles musulmanes. Ces institutions sont nombreuses. Les enfans y passent des années ; on aurait tort de croire qu’ils vivent dans l’ignorance, mais il faut du temps pour apprendre à lire le turc, et surtout pour écrire une langue qu’on ne peut bien parler qu’en connaissant l’arabe et le persan. L’âge de quinze à seize ans arrive sans que l’élève sache autre chose que lire et écrire. Deux cent mille francs sont consacrés aux travaux publics. Le gouvernement a commencé trois routes, l’une va de Janina à Arta, l’autre au nord vers Argyro-Castro, enfin la troisième doit rejoindre la capitale du vilayet à l’escale qui est en face de Corfou. Si imparfaits que soient ces chemins, et bien que les pluies emportent les ponts chaque année, le voyageur habitué à l’Orient ne les voit pas sans surprise. Les sommes que produisent les impôts disent la pauvreté du pays, bien que la Thessalie ait des plaines magnifiques, le Pinde de belles forêts, qu’une grande partie de l’Épire, laissée en friche, puisse être cultivée. Comme dans tous les pays où l’agriculture est négligée, l’Epirote préfère l’élève des moutons et des chèvres au labourage. On compte dans la province, d’après la dîme, 3 millions de ces animaux, c’est-à-dire 37 têtes par maison ; la France n’en possède pas plus de 5 par famille. Ces vastes troupeaux sont un obstacle à tout progrès de la culture ; ils détournent le paysan du travail pénible en lui assurant d’assez forts bénéfices sans qu’il s’impose de fatigue, ils encouragent la paresse, ils empêchent le reboisement des montagnes, où les pousses des jeunes arbres sont détruites chaque année ; ils sont un des fléaux du pays.
L’administration présente dans cette province tous les caractères que nous avons remarqués précédemment dans le vilayet d’Andrinople. Ce qui est en Épire un sujet d’études plus neuf, c’est le caractère même de la population chrétienne. Presque exclusivement albanaise au nord, elle subit tous les jours l’influence des Grecs,