fois de victoires importantes. On peut répéter à leur sujet ce que Plutarque disait de Pyrrhus : « le repos leur est inconnu ; ne faire de mal à personne, ou n’en point subir, leur est insupportable. » Mercure lui-même, retiré à Venise, a dicté le long récit de ses exploits au pauvre scribe qui les mettait en vers. Nous avons là une histoire de l’Europe depuis 1495 jusqu’à 1520, racontée comme pouvait le faire un Épirote. Ce chef de bandes avait vu de près Charles VIII et Louis XII, il avait assisté aux conseils de Jules II, à ceux du sénat de Venise ; il peint à sa manière ces personnages et ces assemblées. Peu d’œuvres littéraires ont au même point cette étrange naïveté ; c’est là un poème unique où il faut chercher non-seulement le tableau des mœurs épirotes au début des temps modernes, mais surtout un exemple des sentimens très simples qu’éprouvent les rudes intelligences en face de la civilisation, des pensées indécises, des réflexions incomplètes qui les agitent, et qu’elles essaient en vain d’exprimer.
Cette énergie du caractère s’est montrée à nouveau il y a cinquante ans, lors de la guerre de l’indépendance. Les Albanais hellénisés se trouvent mêlés à tout ce qui se fit alors d’héroïque ; ils peuvent être fiers de leur part de gloire. Ils ont donné à cette lutte Karaïskakis, Zaïmis, Miaoulis, Botzaris, Canaris et vingt autres, nés en Épire, ou de familles exilées qui étaient venues se fixer en Grèce. On sait le désespoir de ces femmes qui se jetèrent du haut des rochers de Zalongo pour échapper aux musulmans, et tous ces faits d’éclat qui, chantés alors par nos poètes, sont encore racontés dans le pays. La désolation des montagnes de Souli, où on ne voit au milieu des hauts sommets à pic, des ravins et des gorges, qu’une forteresse turque, rappelle l’héroïsme des habitans de cette contrée. Quelques rares bergers qui conduisent des chèvres au milieu de ces pierres montrent la citadelle avec colère. L’un d’eux insulta le gendarme qui nous précédait, aucune violence ne put forcer ce Souliote à rétracter ce qu’il avait dit ; le Turc, vaincu par cette obstination, le laissa aller la figure tout en sang ; ce garçon de quinze ans en s’éloignant répétait ses injures, et criait que le jour de la vengeance viendrait. Il y a là une force de caractère qui n’est point dans les habitudes générales des Grecs. Ce peuple a presque toujours depuis des siècles un courage plus souple, plus réfléchi, plus habile ; les Grecs souhaitent que cette âpreté soit mise tôt ou tard au service de leur cause. Les Épirotes, moins intelligens que les autres Hellènes, ont du reste plus de suite dans les idées, une imagination moins vive, une conduite plus simple, et par là encore ils pourraient être d’utiles alliés.
Les communautés purement grecques de l’Epire ont les mœurs et les institutions que conserve partout en Turquie la famille