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Sous la main, comme exprès pour cette trahison,
Une parente pauvre, une enfant imbécile,
Et vous en avez eu raison. C’était facile,
Son honneur ne tenait qu’à votre loyauté !
Mais vous êtes parti, vous avez tout quitté.
Elle est femme d’un autre, et que Dieu lui pardonne !
Je voudrais bien savoir quels droits cela vous donne ?
Vous m’avez délaissée ? Eh bien ! c’est accompli…
Mais après l’abandon vous me devez l’oubli !
Je ne vous connais plus, moi, monsieur, je vous jure,
Et vous êtes ici, vous ? Mais c’est une injure,
Sortez !

RENÉ.


Ah ! cœur de femme ! Et pourtant tu m’aimais,
Hélène ! Souviens-toi, tu m’as aimé.

HÉLÈNE.


Jamais !
Et vous le savez trop pour jouer la méprise :
Ce qu’un voleur de nuit peut avoir par surprise,
Vous l’avez eu de moi, l’enfant stupide, mais
Mon âme, mon amour, enfin moi ! moi ! jamais !

L’enfant stupide, l’enfant imbécile, ces mots, qui semblaient répétés à dessein, éveillaient l’idée d’un drame tout nouveau, d’un drame psychologique où la conscience eût joué le premier rôle. Hélène a été coupable sans doute, elle a été surtout victime. Cette enfant qui n’était pas encore une personne morale, cette enfant sans raison, sans conscience, sans volonté, l’orpheline élevée par une tante qui gâtait ses fils et négligeait sa nièce, a pu succomber à une séduction infâme ; aujourd’hui c’est une personne, c’est une âme qui se possède, elle a conscience de ce qu’elle vaut, elle saura bien à elle toute seule sauver sa dignité. Son remords même lui est une force. Il n’est pas nécessaire qu’elle fasse dès à présent à son mari les aveux qu’elle lui doit, elle se doit d’abord à elle-même de châtier le lâche qui abusa de son ignorance et de sa faiblesse. Voici la revanche de l’être inconscient devenu responsable et libre. On le croyait du moins, et comment ne pas le croire quand on voyait Hélène, dans cette même scène du premier acte, imprimer au front du lâche une si énergique flétrissure ? L’odieux René de Rive, croyant toujours avoir affaire à l’enfant qu’il a souillée, ose encore lui parler de son amour.

HÉLÈNE.


Misérable !
Ah ! misérable ! Eh bien ! vrai, je ne croyais point,
Si déloyal qu’on-soit, qu’on le fût à ce point !