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poser de 15,000 ou 16,000 hommes distribués en quatre brigades, sous les ordres des deux fils de Garibaldi, Menotti et Ricciotti, du général polonais Bossak-Hauké, réfugié en Suisse depuis l’insurrection de 1863, et d’un gros personnage marseillais, ancien comptable transformé par la révolution du 4 septembre en préfet des Bouches-du-Rhône, puis en colonel de volontaires, M. Delpech. Le chef d’état-major de Garibaldi était un pharmacien d’Avignon, M. Bordone, qui, lui aussi, naturellement s’était fait colonel avant qu’on le fît général. Garibaldi lui-même, quand il n’était pas malade, donnait le ton et faisait des ordres du jour à sa manière, où il disait à ses miliciens : « Le noyau cosmopolite que la république française rallie dans son sein, composé d’hommes choisis dans l’élite des nations, représente l’avenir humanitaire, et sur la bannière de ce noble groupe vous pouvez lire l’empreinte d’un peuple libre qui sera bientôt le motto de la machine humaine : tous pour un, un pour tous, etc. »

Ainsi on parlait en face des Prussiens ! La vérité est que cette « élite des nations » ressemblait assez à une armée d’aventure bariolée et indisciplinée, faisant beaucoup de bruit et rendant peu de services, se conduisant souvent en pleine France envahie comme en pays conquis, et comptant dans ses rangs jusqu’à des femmes qui jouaient à l’officier, qui portaient « un galon de plus que leur favori. » Le galon et l’éclat des costumes en effet, c’était le signe distinctif de cette étrange armée. Les pauvres miliciens pouvaient souffrir ; ceux qui n’avaient pas la chemise rouge étaient surtout vus de mauvais œil et souvent négligés. L’état-major garibaldien était luxueux. On se plaignait de n’avoir pas de canons ; mais on avait de brillans uniformes, et on allait galamment à la guerre[1]. Au fond, si dans ce camp bizarre on avait le souci des Prussiens, on s’occupait de bien d’autres choses encore. On faisait la guerre au prêtre et à la réaction. On chassait les jésuites de Dôle, et on laissait saccager l’évêché d’Autun par des bandes indisciplinées et pillardes. Un jour, on arrêtait au milieu d’une cérémonie funèbre, en

  1. On peut lire à ce sujet un rapport adressé à l’assemblée nationale par un des membres de la commission des marchés. « La légion garibaldienne, dit M. Blavoyer, a vu cinquante-trois officiers vêtus aux frais de l’état avec un luxe qui contrastait avec le pauvre équipement de nos propres soldats… Les chemises rouges coûtent 20 francs, les pantalons 30 fr., les vestons 58, 65, 70, 80 et 90 fr., d’autres de 100 à 190 fr. Le manteau du colonel Garibaldi, dit en se lamentant le fournisseur, était d’une ampleur excessive, d’un drap gris magnifique, doublé de rouge, et du prix, relativement modique, de 180 fr. Des boutons d’argent fin sont exigés par un sous-intendant, les galons et les torsades sont en grandes quantités sur toutes les factures… » Voyez aussi le récit modéré, impartial et sincère de M. Jules Garnier, les Volontaires du génie dans l’est.