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peine investi par la sanction de la Porte d’un peu plus de prestige.

Ce n’était pourtant pas chose indifférente que de s’être placé sous la protection spéciale du capitan-pacha. Le pouvoir de ce haut dignitaire s’étendait sur tout l’Archipel et sur une partie des côtes du Péloponèse. Le capitan-pacha ne commandait pas seulement la flotte, il était aussi chargé de l’équiper. Investi à cet effet des prérogatives dévolues jadis à nos amiraux, il recueillait le tribut des îles et y opérait les levées d’hommes que les circonstances rendaient nécessaires. Rien ne pouvait donc être plus précieux pour des insulaires que sa bienveillance. Les Hydriotes ne croyaient pas la payer trop cher en lui offrant chaque année de riches présens et en s’engageant à entretenir à leurs frais sur les bâtimens de la flotte ottomane, pendant toute la durée de la campagne d’été, un contingent de 250 marins. Le chiffre de cette dépense ne dépassait pas 80,000 francs ; celui de la somme affectée à l’achat des présens 20,000 francs. C’étaient les seules taxes que payaient les habitans d’Hydra, affranchis de l’humiliant impôt du karatch.

On a comparé les îles albanaises aux anciennes villes libres de l’empire d’Allemagne. Le rapprochement est jusqu’à un certain point fondé. Le commerce fuit instinctivement tout ce qui gênerait à un degré quelconque la liberté de ses allures. C’est ainsi qu’on peut s’expliquer comment, entre tant d’îles pourvues d’excellens ports, offrant par les seuls produits de leur sol un fret avantageux à l’exportation, la marine grecque avait choisi, pour y établir ses chantiers et pour y concentrer ses armemens, quatre îlots qui n’avaient d’autre titre à cette préférence que l’absence de tout voisinage importun. Des colonies avaient pris racine sur une terre ingrate dont l’âpreté rebutait jusqu’aux plus humbles arbustes. Chypre, Candie, Rhodes, Stancho, Métélin, Samos, les douze îles dont se composait, sous le sceptre des empereurs byzantins, le Thème de la mer Egée, tous ces archipels sur lesquels avaient régné ou des ducs ou des princes, dont les rades avaient abrité des flottes, dont les villes avaient soutenu des sièges, languissaient au contraire sous la main de l’administration musulmane, et voyaient se dépeupler leur fertile territoire.

Une seule île avait échappé à ce destin funeste. Chio présentait un spectacle peu commun dans l’empire des sultans : on y jouissait en paix des fruits de son travail, et l’on y acquérait la richesse sans avoir besoin de se livrer à de douteuses industries ou à des spéculations hasardeuses. La distillation du mastic, la culture des vergers, faisaient de cette île fortunée un véritable Éden ; mais Chio avait été gouvernée pendant deux cent vingt ans par une maison de commerce génoise, et le régime municipal sous lequel ses cam-