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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 102.djvu/871

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mises en mouvement. Les Guègues et les Bulgares s’avancèrent pour cerner la Basse-Albanie. Ali appela les Grecs aux armes ; il était trop tard, ses défenses étaient déjà tournées, et avant d’avoir pu recevoir de cette diversion le secours qu’il en attendait, il voyait arriver devant Janina les troupes conduites par Ismaël. Il n’eut que le temps de brûler la ville et de se réfugier dans la citadelle avec 6,000 hommes. Pendant l’été, une division de la flotte ottomane arriva sur la côte d’Albanie, et, au moment où Arta était assiégée par terre, le capitan-bey canonnait Prevesa. Un des fils d’Ali commandait dans cette place ; il la livra sans essayer de la défendre. Ismaël put ainsi recevoir de la flotte sa grosse artillerie et ses munitions. Au mois d’octobre 1820, il ouvrait le feu sur la forteresse qui forme l’acropole de Janina. Ali était perdu. Le vieux lion cependant résistait encore. « Il continue, à l’étonnement de tout le monde, écrivait de Zante le vice-consul de France, M. Bourbaki, de combattre, enfermé dans le petit château de la ville, bien qu’il ait été abandonné de toutes ses troupes et de ses trois fils. Toutes les côtes, de Missolonghi à Valona, sont occupées par les troupes du grand-seigneur, ainsi que la Haute et la Basse-Albanie. Tout cela a eu lieu en moins de deux mois. L’apparition de sept à huit bâtimens de guerre a suffi pour anéantir ce terrible homme. »

Dès la fin de 1820, les négocians étrangers, les consuls, les capitaines de nos navires de guerre, sont unanimes quand ils parlent de la Grèce ; tous y signalent à l’envi l’attitude séditieuse des chrétiens. La révolution vient d’éclater en Espagne ; les îles ioniennes s’agitent sous la main de l’Angleterre, qui, « avec son sang-froid habituel et le plus grand calme, continue d’accabler ses protégés d’impositions et de les appauvrir. » Le démon de la discorde est de nouveau déchaîné sur le monde. Inquiète, ébranlée, avertie de toutes parts, la Porte n’ose pas cependant détourner son attention de l’Épire. C’est toujours de ce côté qu’elle expédie des soldats, des vaisseaux, des approvisionnemens. Ali est le seul ennemi que le sultan Mahmoud se préoccupe d’abattre. Ismaël a paru trop lent ; on le remplace et bientôt on le décapite. Kourchid-Pacha, gouverneur de la Morée depuis le mois de novembre 1820, est nommé séraskier à sa place. Malgré les inquiétudes que doit lui causer l’état de fermentation où se trouve la Grèce, Kourchid n’hésite pas. Il part, emmenant avec lui tout ce qu’il peut rassembler de troupes, et se rend à marches forcées sous les murs de Janina. Il a laissé à Tripolitza son lieutenant ; mais il l’a laissé sans forces, car, malgré tous les secours envoyés à l’armée d’Albanie, cette armée ne dépassera pas 20,000 hommes.

« Maintenant ou jamais, » tel dut être le sentiment qui, comme