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neige avait presque entièrement disparu le 21 août. Une autre avalanche tombée sur le torrent de Cadi à 1 845 mètres au-dessus de la mer mesurait encore 500 mètres de long, et formait un pont d’une seule arche miné en dessous par les eaux du torrent ; le 28 août, il était écroulé sur une longueur de 60 mètres, mais la clé de la voûte qui restait était encore d’une épaisseur rassurante. Après avoir remonté de l’autre côté, on arrive au chalet ou Jas de Cadi, le plus élevé de la montagne (2 100 mètres), celui où les touristes qui veulent voir le lever du soleil au sommet du Canigou ont coutume de passer la nuit. Une forêt continue de pins des Pyrénées règne de ce point jusqu’à une source dont la température est de 4°,7. Les Catalans lui ont donné le nom de leur illustre compatriote François Arago en souvenir du dernier séjour qu’il fit au pied du Canigou en 1842.

A 2 320 mètres, on sort de la forêt, et l’on se trouve à la limite de la végétation arborescente, formée uniquement par le pin des Pyrénées. Je n’ai pas été médiocrement surpris de voir à cette hauteur des arbres ayant 5 mètres de haut et un tronc à l’avenant ; le plus gros mesurait 2m,85 de circonférence. Les branches tordues et mutilées de ces arbres témoignent de la lutte qu’ils soutiennent contre les ouragans et le poids de la neige qui les courbent en hiver. Quelques-uns sont morts et desséchés ; mais d’autres étaient en pleine végétation. Cette limite est bien celle qu’ils ne peuvent dépasser, car la montagne s’élève en pente douce devant eux, et rien, si ce n’est le climat, ne les empêchait de monter plus haut ; quelques sujets rabougris semblaient pour ainsi dire tenter l’escalade, mais ils s’arrêtaient à leur tour, et le genêt[1], le rhododendron, le genévrier et la bruyère commune couvraient seuls les flancs déboisés de la montagne. Telles sont la longueur et la rigueur des hivers, la brièveté et la tiédeur des étés dans ces hautes régions, que ces arbres ne végètent que pendant quelques mois de l’année ; leur croissance est donc nécessairement très lente. Un garde-général des forêts voulut bien me donner une rondelle prise à la base d’un de ces pins : elle avait un diamètre de 0m,278 sans compter l’écorce. Le nombre des couches ligneuses, toujours égal à celui des années que l’arbre a vécu, s’élève à 150 ; cet arbre datait donc de l’année 1722. En moyenne, les couches avaient une épaisseur de 9/10es de millimètre. Pour donner une idée de la lenteur de cette végétation, je dirai que les pins de la forêt de Haguenau en Alsace ont en général, à l’âge de 150 ans, un diamètre de 0m,828 ; leur accroissement en diamètre est donc environ trois fois plus rapide que celui des pins des Pyrénées à 2 300 mètres au-dessus de la mer. Pour trouver une végétation aussi lente dans la

  1. Genista purgans.