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ou d’imputations calomnieuses. Tantôt ce sont des espions qu’on aposte pour voir si quelque visiteur n’emporte rien des trésors qu’il a eus sous les yeux ; tantôt, les soupçons remontant jusqu’au maître de la maison lui-même, on soumet ses domestiques à un interrogatoire en règle sur ce qu’il a pu faire ou dire, et des rapports tendant à dénoncer chez lui la pensée d’un détournement sont immédiatement adressés à qui de droit. Nous n’en finirions pas s’il nous fallait entrer dans le détail des perfidies et des manœuvres auxquelles donnèrent lieu la situation où s’était si loyalement placé Gaignières et bientôt la maladie dont il ne devait point relever. Il n’y a que justice toutefois, à propos de ces vilenies, à signaler celui qui y compromit le plus directement son caractère et l’honneur d’un nom d’ailleurs estimé des érudits. En épiant avec une sorte de cynisme les moindres démarches de Gaignières et les approches d’une mort qu’il appelait de tous ses vœux, Clairambault semble transporter dans le domaine de la science quelque chose des mœurs d’un bravo ou d’un familier de l’inquisition, — si tant est même qu’il n’entende en ceci servir que ceux qui l’emploient, et que sous son zèle apparent pour les intérêts d’autrui aucune arrière-pensée ne se cache d’avantages et de profits tout personnels.

Un passage d’une lettre adressée par Clairambault au marquis de Torcy suffira pour donner la mesure de sa duplicité. Cet homme, qui écrivait à Gaignières dans les termes les plus affectueux, qui s’honorait d’être « son ami et son confident, » ce même homme l’accusait ainsi auprès du ministre, « … Je crains autre chose plus dangereux : c’est que lui-même ne détourne, car je puis vous dire en secret que ce qu’il a déclaré jusqu’à présent n’est pas de bonne foi. Peut-être réserve-t-il de le dire à la fin, et qu’il veut voir si on lui tiendra parole, afin de n’être pas dénué de tout, si on ne le payait pas. Je crois aussi qu’il a quelque dessein d’ôter les doubles de tout ce qu’il a. Je ne sais s’il laisserait le meilleur… »

Torcy, tout en accueillant l’accusation, sentait bien qu’il fallait compter avec la bonne réputation de Gaignières et ses susceptibilités d’honnête homme. Aussi dans sa réponse recommandait-il à Clairambault d’agir a sans faire voir a M. de Gaignières qu’on eût la moindre défiance sur son sujet… Vous savez au contraire, ajoutait-il, combien il est touché de soutenir l’idée de sa probité. » La probité ! on pourrait soupçonner celle de l’agent de M. de Torcy à meilleur droit qu’il n’avait lui-même mis en doute la bonne foi de Gaignières. L’empressement singulier avec lequel, au lendemain de la mort de celui-ci, il fait transporter dans sa propre maison toutes les collections qui avaient appartenu au défunt, afin, disait-il, de mener plus rapidement les travaux d’un nouvel inventaire et