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même de cette rue Vivienne qu’il s’agissait pour elle de quitter, des bâtimens spacieux se trouvaient tout à coup disponibles : comment laisser échapper une occasion aussi favorable et ne pas s’empresser de prendre ce qu’on avait en quelque sorte sous la main ? On sait que l’ancien palais Mazarin, devenu la propriété du mari d’Hortense Mancini, avait été sous la régence acquis pour le roi et donné en son nom à la Compagnie des Indes. Law y avait établi ses bureaux et ouvert ainsi un nouveau théâtre aux agiotages et aux scandales de la rue Quincampoix ; mais, lorsqu’en 1721 survint l’éclatante ruine de ce qu’on appelait le système, le vide se fit à peu près dans ces murs un moment si peuplés. Les restes de la banque de Law n’occupèrent plus qu’une petite partie du palais qu’avait habité Mazarin, tandis que les dépendances de ce palais parallèles à la rue de Richelieu et désignées, depuis la mort du cardinal, sous le nom d’hôtel de Nevers demeuraient presque sans emploi. Ce fut alors que l’abbé Bignon sollicita du régent, le duc d’Orléans, l’autorisation d’y transporter la Bibliothèque, et, le consentement du prince une fois obtenu, il crut si bien avoir partie gagnée qu’il n’attendit même pas l’accomplissement des formalités légales. Quant aux travaux d’installation préparatoires, le désir d’occuper la place au plus vite fit qu’on se dispensa de les entreprendre et que, au moment même de l’emménagement, on y suppléa comme on put. « En conséquence des ordres du régent, dit Leprince dans son Essai historique, on transporta sans différer dans l’hôtel de Nevers… le plus qu’il fut possible de livres, lesquels furent placés dans différentes chambres et rangés sur des tablettes faites à la hâte. »

Jusque-là tout allait au mieux, mais l’on avait compté sans les suites. Les réclamations de plusieurs intéressés contre l’envahissement un peu brusque, il est vrai, de leur demeure, le mécontentement des gens de loi, qui, n’ayant pas participé à l’affaire, ne se faisaient pas faute d’en accuser l’irrégularité, la mort du régent et par conséquent pour les émigrés de l’hôtel Colbert la perte de leur plus puissant protecteur, d’autres difficultés encore faillirent maintes fois amener un éclat et aboutir à un nouveau déplacement de la Bibliothèque. Il ne fallut pas moins que la ténacité de l’abbé Bignon et l’autorité du comte de Maurepas, alors ministre de la maison du roi, pour triompher de tous les obstacles. L’une et l’autre y réussirent à la fin. Après plus de deux années de négociations incessamment rompues et renouées, après bien des échanges de paroles et de procédures, un accord fut conclu qui, en sauvegardant certains droits antérieurs, déterminait le droit des nouveau-venus à l’occupation principale, à la possession presque totale des lieux.