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tie suédoise a porté sa pierre à l’édifice, et cet édifice a été celui d’une liberté réglée, docile aux meilleures inspirations de notre temps. Sans rien vouloir abdiquer ni répudier du rôle plus vaste et plus périlleux qui incombe à un grand pays tel que la France, n’avons-nous pas quelque chose à envier à ces peuples que nos leçons et nos malheurs ont également instruits, et ne pourrions-nous pas nous instruire nous-mêmes au spectacle de leur discipline ? Un peu de leur discrète quiétude, en donnant essor à nos incomparables ressources, nous serait si salutaire !

Ce n’était pas que Bernadotte se fût trouvé tout à coup réaliser le pur idéal du roi constitutionnel. Son long règne, de 1818 à 1844, ne fut pas sans orages intérieurs. Il avait des hauteurs et des impatiences qui lui suscitèrent plus d’une fois des dangers. La Norvége surtout était en possession d’exciter sa mauvaise humeur, parce que la réunion de ce pays à la Suède s’était faite avec mille restrictions qu’il aurait voulu pouvoir effacer. Lui, le républicain ennemi du 18 brumaire, il ne se résigna jamais entièrement et sans l’arrière-pensée du gouvernement personnel à des institutions qui étaient presque républicaines ; mais enfin il se sentait roi nouveau, nécessairement libéral en face des anciens régimes ; de plus Suédois et Norvégiens avaient su le lier par d’énergiques constitutions qu’ils ne laissèrent pas fléchir. Heureusement d’ailleurs il avait un fils qui, s’il était encore Français de naissance, avait été du moins élevé dès ses premières années au milieu des Suédois, parlait leur langue, et ne devait pas connaître désormais pour lui-même et les siens d’autre nationalité. Certes Bernadotte, comme prince royal, en avait assez fait pour prouver à ses nouveaux sujets qu’il avait réellement changé de patrie ; cependant il avait continué de parler sa langue maternelle : il régna longtemps de son palais, de sa chambre, de son lit, où il restait, pendant la froide saison, des journées presque entières, n’ayant autour de soi qu’une camarilla un peu jalouse dont médisait parfois la nation.

Tout cela disparut à l’avénement d’Oscar Ier, qui fut déjà un vrai roi national. On l’a toujours dit, le plus difficile n’est peut-être pas dans l’établissement d’une dynastie l’œuvre de la fondation même ; il y a une épreuve souvent plus périlleuse, c’est la transmission du pouvoir. Le fondateur arrive au milieu de circonstances qui ordinairement l’imposent, et, comme ce n’est pas la plupart du temps le hasard de la naissance qui l’a désigné, il y a chance qu’il soit un homme d’énergie ou de qualités éminentes. Le second règne, en plus d’un cas, commence avec des conditions toutes différentes. S’il y eût eu ici un successeur imprudent ou peu estimé, ou peu capable, il y avait place à quelques dangers. Il faut en pareille occurrence un prince très habile ; et le plus habile est celui qui par son intelligence,